[Attention, long article, donc long temps de lecture à prévoir - mettez-vous dans de bonnes conditions pour l'apprécier ou prévoyez une lecture ultérieure !]
TL;DR En partant il y a presque 2 ans de l’incubateur HEC pour lancer une startup (sans encore en avoir l’idée fondatrice), je ne m’imaginais évidemment pas, 18 mois plus tard, m’être planté de manière aussi belle et « classique », perdant au passage un ami, de l’argent, la confiance de certains dans mon réseau, et quelques petits bouts d’égo. Cet article revient en détails sur le déroulé du projet, partage certains documents internes qui montrent les évolutions et pivots ainsi que quelques-unes de nos façons de travailler (et documente ainsi le démarrage, la vie et la mort d’une startup de manière assez transparente, ce qui me semble assez rare), et tente ensuite de mettre des mots — de mon point de vue personnel donc très subjectif — sur les leçons que j’en retire.
A titre personnel, l’expérience a été certes compliquée, mais surtout super riche en apprentissages et forte en ambition. On sait en se lançant que ça peut mal se passer, et on met toute son énergie pour qu’une fin de type « fail » n’arrive pas. Parfois, ça ne marche pas, pour tout un tas de raisons… Reste que les entrepreneurs vivent pour ces moments passés à essayer de réinventer un petit coin du monde et que quelle que soit l’issue, il faut célébrer le fait d’avoir essayé !
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Il y a un peu plus d’un an et demi, je quittais l’incubateur HEC, tirant quelques leçons de mon expérience de 3 années, et me lançant à nouveau dans l’aventure entrepreneuriale : créer sans idée, avec un peu d’argent, du temps devant moi, et un début d’équipe. Et puis surtout l’expérience d’avoir vécu avec près de 100 projets de startups, certains connaissant une croissance violente et une réussite hors norme, d’autres étant dans des situations plus compliquées : rythme de croisière non atteint, engueulades entre associés, difficultés à lever des fonds, produit qui ne sort pas, démarches commerciales reportées, pivots successifs…
J’avais également pu, pendant trois années, étoffer mon carnet d’adresses, comprendre quelques schémas de réussite, m’améliorer aussi sur tout un tas de points (pitching, compréhension des modes de financement, connaissances des technos, maîtrise de tout un tas d’outils SaaS que déjà je m’amusais à tester, analyse fine de beaucoup de business models, travail autour des métrics, …), bref autant de sujets que j’avais traités en parallèle sur ce blog entre septembre 2008 et septembre 2011.
Sur le papier, tout va alors bien.
Et en tout cas, on ne peut pas dire que je découvre le monde des startups : je sais a priori à quoi m’attendre. 18 mois après, pourtant, on ne peut pas voir dans mon aventure de startup autre chose qu’un bel “échec”. Bref, je me suis planté, et en beauté.
Ayant toujours prôné ici la transparence sur cette phase qui fait – elle aussi – partie de la vie des entrepreneurs, je vous livre donc ici ma propre version de l’aventure et des leçons que j’en retire. N’y voyez donc qu’un seul des points de vue qui ne permet donc pas sans doute de comprendre la globalité de l’histoire. J’ai tâché d’être le plus objectif dans ma subjectivité, en romançant le moins possible les différentes étapes (même si forcément avec près de 2 ans maintenant depuis le début c’est compliqué de ne pas faire une part de Story Telling), telles que je les ai vécues, et en reprenant (moment assez spécial d’ailleurs d’archéologie dans mes emails, dropbox et Google Drive) les échanges et docs que nous avons pu avoir sur la durée.
Si j’essaie d’être transparent, c’est aussi évidemment pour moi : pour essayer de me rappeler que quels que soient l’étendue de son réseau, son “expertise” dans un sujet précis, sa visibilité dans l’écosystème, les mentors que l’on peut avoir, on n’est jamais à l’abri de se planter, et que ça fait mal, qu’on y laisse des plumes. Si je n’ai pas l’impression de ne plus avoir eu les pieds sur terre – j’étais le premier à dire autour de moi que rien n’était gagné, loin de là – reste que pas mal de personnes m’avaient mis en garde sur quelques aspects du projet – notamment sur les termes de notre association (et par conséquent de la répartition du capital) – je me suis pris quelques gamelles et j’ai loupé pas mal de choses.
Fail early, fail fast, fail often... ce n’est pas si bête que cela… mais ça fait tout de même bien ch*** quand ça arrive, et prendre un mur n’est jamais bon, ni pour l’égo, ni pour le moral, ni pour les finances, ni pour son entourage direct.
Bref, je me suis planté, et les quelques lignes ci-dessous sont là pour essayer d’éclairer ce plantage et de le raconter : gageons que ça pourra en aider certains — sachant que l’aventure est tout de même géniale et que pour rien au monde je ne l’enlèverais de mon parcours !
La boite que l’on aurait dû monter.
Avant de voir ce qui n’a pas fonctionné comme je l’aurais voulu, je pense qu’il est intéressant, de revenir assez rapidement sur ce que nous voulions faire. Ne serait-ce que pour la mémoire de ce projet et des années futures où je repasserai par ici, comme je l’ai fait dans mon post-mortem précédent… Cela m’évoque l’image de poupées russes, où chaque nouvelle aventure est encore un peu plus passionnante que la précédente et contient tous les enseignements, contacts, erreurs, apprentissages, réflexes business… retirés de ce que l’on a fait avant.
Avant que je ne débranche la prise de la startup donc, nous travaillions à aider les entreprises à passer aux logiciels SaaS : que ce soit en essayant de comprendre comment tout ce petit monde marche, en promouvant des logiciels intéressants (ces deux premiers points étaient traités par WeLoveSaaS, dont j’ai déjà parlé ici), ou que ce soit en essayant de mettre un peu d’ordre dans la pagaille qu’est devenu leur “parc logiciel” (savoir qui utilise quoi, permettre à chacun de trouver le bon logiciel, avoir un moteur de recommandation…).
Cette “seconde” partie de notre projet était en réalité la plus grosse, puisqu’il s’agissait là d’un logiciel (SaaS, of course), nettement plus ambitieux (business-wise et tech-wise) que WeLoveSaaS, qui était lui en réalité un side-project destiné à être notre plan marketing et à assurer notre relation avec les éditeurs.
Vous trouverez ci-dessous les principaux documents qui représentaient notre projet au moment où nous avons arrêté. Et dans les lignes encore d’après (partie “calendrier des faits”) les versions précédentes, des docs de travail, des docs internes, des morceaux de méthodo… je me dis que ce n’est pas si facile de trouver des cas de startups qui livrent autant de choses aussi peu de temps après et l’idée du partage “total” m’intéresse bien, en soi. N’hésitez pas à les parcourir, les télécharger, les critiquer, vous appuyer dessus pour avoir une idée de comment vous lancer dans les vôtres… Pas d’ambition ici de montrer un « modèle » quelconque ou de donner des leçons évidemment, donc ne prenez pas tout au pied de la lettre
Nous étions donc en train de lancer le projet Calabio, comme vous le verrez dans la timeline du projet dans son ensemble – avec pour objectif (à la fin) d’être la plateforme de gestion des logiciels SaaS pour les PME et plus grandes entreprises, en apportant de la valeur au moment du choix des logiciels, puis dans la gestion quotidienne du parc de logiciels, autant aux DSI / responsables IT que pour les utilisateurs finals (ou finaux, mais c’est moche).
Nous avions 3 produits différents, à développer de front (ce qui a sans doute été une erreur et une source de dispersion) :
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WeLoveSaaS, pour l’aspect annuaire de solutions et la partie éditoriale, financé par des pubs et de l’affiliation
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myCalabio, pour les individuels qui souhaitaient trouver leurs logiciels, les partager, financé à 100% par l’affiliation et la mise en avant de logiciels / deals promotionnels
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Calabio, pour gérer à l’échelle d’une entreprise “qui utilise quoi”, “combien ça coûte”, aider à la découverte (via algorithmes) des bons logiciels pour tel ou tel usage, et partager les best practices, financé par les abonnements et l’affiliation
Ci-dessus notre présentation « short » de nos différents produits, à début décembre 2012, et ci-dessous le doc le plus proche de la réalité et le « dernier » compilé, vers fin novembre 2012, pour une demande de prêt d’honneur (avec aussi quelques éléments financiers plus ou moins fantaisistes
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Calendrier des “faits”
Année 2011
Monter une boîte me démange de plus en plus. Partir de Paris aussi. J’arrive en fin d’un premier cycle de 3 ans à HEC, je me cherche naturellement un nouveau challenge. Lancer une startup m’apparaît comme la seule possibilité à ce moment-là (a posteriori aussi, d’ailleurs). Guillaume, un ami avec qui j’avais déjà mené des projets de dév dans une autre vie (en association en école de commerce, puis dans ma première boîte où il avait développé notre outil de gestion), semble être le bon associé technique pour cela.
On échange régulièrement, le fit semble bon, on réfléchit beaucoup à ce que devrait avoir un projet pour nous intéresser : de la tech, un gros marché, une internationalisation possible à terme, plutôt en avance de phase, quelques acteurs US lancés. Du classique dans ce genre de cas où l’on cherche plus à trouver coûte que coûte la bonne idée et à “rationaliser” ce process, avant de se lancer.
Je prépare mon départ, en profite pour me mettre à jour sur tout un tas de petites choses, et surtout me mets mentalement en position de lancer une startup, avec tout ce que ça implique (notamment vis-à-vis de l’entourage et du niveau de vie .
Nous mettons aussi au point cette grille rapide d’analyse d’idées de business :
Certes, c’est très brut, mais c’est ce qui va me servir pendant plusieurs mois, lorsque j’aurai une idée ou que j’en verrai passer une, à savoir si ça vaut le coup de creuser un peu plus.
Septembre – octobre 2011
Je quitte l’incubateur HEC (en y gardant quelques activités, notamment 2 cours “startups” et un pied dans la chaire e-business financée par Google). J’ai en tête depuis quelques mois de me relancer donc, et je planche sur une grille “d’idées de business possibles”. Méthode simple : regarder tout ce qui rentre dans des accélérateurs ou tout ce qui passe dans des concours “early stage” de startups aux US, tout classifier, écarter sur base de critères rédhibitoires (trop high-tech, trop spécialisé sur le marché américain, trop éloigné de ce que je sais / aime faire…).
Tout ce qui passe est bon à analyser, c’est un moment, assez intéressant intellectuellement puisque je passe environ 3-4 heures par jour à regarder des sites Tech ou des concours de pitch pour voir de nouvelles idées, puis les passer dans ma moulinette à 12 critères.
Le système est bien rôdé : je dois avoir environ 80 sources (une trentaine de blogs, une quinzaine de fonds early stage, une vingtaine d’accélérateurs, quelques trucs sectoriels, quelques concours de startups, …), tous pluggés en flux rss. J’épluche tout cela en début de journée, note les startups qui semblent intéressantes. Puis je cherche tout ce que je peux trouver sur elles, et cherche des concurrents ou les rapproche de boites déjà vues. Je vois progressivement quelques “patterns” ressortir, et quelques tendances ressortir du lot.
Voilà ci-dessous (téléchargez le fichier sinon vous n’y verrez rien) un exemple sur une semaine ou deux de recherches :
J’ai aussi un projet plus “coup de coeur” en tête, qui consiste à vendre de la charcut’ par correspondance, sous forme de “Cochon-Box” . Les premières investigations sont menées aussi, mais le manque de connaissance(s) dans le milieu m’échaude un peu (mais franchement, encore aujourd’hui, je trouve qu’il y a un vrai chouette truc à faire sur le sujet, j’y reviendrai peut-être un jour !).
Et puis surtout, peu à peu, je sens poindre un sujet qui m’intéresse particulièrement : le SaaS (Software as a Service, comprenez logiciels achetés par abonnement, sans installation, directement utilisés dans le navigateur – en simplifiant au maximum). Tout d’abord pour être éditeur SaaS, et retrouver ainsi ce sur quoi je planchais lorsque j’ai travaillé chez Microsoft, le monde de l’édition de logiciels.
Trois idées se dégagent :
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un outil d’aide au recrutement, pour ceux qui en ont marre de la façon dont il gèrent leur process de recrutement
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un outil pour les patrons de PME pour mieux gérer leur tréso et faire du contrôle de gestion
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un outil de gestion de todo-lists (ayant déjà mes soucis d’organisation et de focalisation ) basé sur l’idée farfelue qu’il est primordial de lister, le soir, les 6 choses que l’on doit absolument faire le lendemain
Entre deux tournées ou dégustations “projet cochon” (au sens propre ), j’interroge en bon croyant en la méthode lean startup (et surtout Customer Dév – plus intéressante et moins théorique que la Lean Startup) quelques chefs d’entreprise, pour essayer de voir où se trouverait la pépite business à lancer. Je dois en “tester” pas loin de 30 par téléphone ou en face à face.
Je commence systématiquement mes entretiens par “quels logiciels utilisez-vous ?”. Puis “quels sont ceux qui sont en mode SaaS”. Parfois je prêche à des convaincus. Parfois je dois évangéliser sur ce que c’est, comment ça marche, quelles sont les solutions principales, quels sont les avantages de telles solutions. Leur intérêt est bien plus grand que celui qu’il portent à l’une des perches (RH, tréso, todolist) que je leur tends.
Je m’intéresse alors de plus près à quelques tendances “lourdes”, avec une approche un peu plus top-down (donc, je potasse des études de marché genre Forrester, Gartner, PAC, …) pas tellement pour y trouver une idée de boîte, mais plus pour être un peu moins newbie face à mes interlocuteurs qui sont, parfois, quand même bien calés…
Et c’est là que je comprends que le monde de l’informatique d’entreprise subit de gros changements : de grosses “suites” logicielles intégrant beaucoup de choses, vendues sur étagère, demandant d’importantes opérations d’installation, de maintenance et de formation, avec des SSII ou des “intégrateurs” dans la chaîne, on est en train d’arriver à une situation où chacun choisit de plus en plus ses propres outils, souvent très limités (une fonctionnalité = un logiciel). Et que les prix plus faibles, une offre plus importante, des softs mieux faits, utilisables partout, tout le temps… ont un revers à leur médaille : la complexité de gestion de tout ce petit monde.
Factures dans tous les sens, gestion bien compliquée des utilisateurs, sauvegardes difficiles de données complètement éparpillées, offre démentielle dans laquelle on ne se repère que difficilement, pricing tous différents les uns des autres, volonté d’intégrer ce qu’il est possible d’intégrer via les APIs disponibles…
Il y a certainement quelque chose à faire ! Je creuse encore un peu et m’arrête sur les principes de “cloud & SaaS orchestration”, comprenez avec l’envie de devenir le “chef d’orchestre” de ces logiciels SaaS. Et donc, aider les entreprises à passer au saas et à mieux gérer leurs logiciels et leur parc logiciel.
15 novembre 2011
A mi-novembre, on arrête toutes les autres pistes, et on se lance à fond sur celle-ci, avec l’envie de déjà développer un catalogue de logiciels SaaS. Les fonctionnalités sont encore réduites : il s’agit de pouvoir faire la liste des logiciels que l’on utilise.
Le tout premier mockup réalisé sur ce qui deviendra mon projet de startup…
Et les différentes versions papier réalisées en permanence sur mon carnet de croquis.
En parallèle, je lance assez tôt “CloudZone”, qui deviendra plus tard WeLoveSaaS (la marque CloudZone ayant été déposée entre temps, mais par une entreprise strasbourgeoise). Je suis convaincu qu’il sera nécessaire pour le projet d’avoir une “rampe de lancement”, visible, référencée, qui nous permette aussi de nous mettre bien avec le monde des éditeurs de logiciels.
En plus de la veille que CloudZone me permet de faire, je “muscle” le projet sur les aspects vision et connaissance marché (et trends marché) : je dois me bouffer à peu près tout ce que les bases de données d’études de marché Gartner, Forrester, PAC, … peuvent compter. J’acquière la certitude que 1. le SaaS est vraiment là pour durer (bon, ça, n’importe qui en est persuadé dans le milieu, aucun truc exceptionnel à y voir) et que 2. les entreprises vont avoir sacrément besoin d’aide pour y basculer progressivement. Cela me donne la conviction qu’il y a quelque chose à faire sur ce marché, même si je ne sais pas trop quoi, et que la taille du marché va laisser plein d’opportunités à ceux qui savent les voir et les saisir.
Janvier 2012
Voilà vraiment un mois et demi que nous avons décidé de développer ce qui deviendra ensuite Calabio. Nous opérons alors sous le nom de “DirectCloud”, qui ne conviendra pas ensuite mais qui plante un peu le décor et nous permet d’avoir un nom pour le projet, le rendant bien plus tangible à nos yeux.
Je crois vraiment alors que nous sommes sur un “big trend”, et qu’à deux seulement cela ne suffira pas. Il se trouve que je suis resté en contact avec deux anciens incubés de ma première promo à HEC, Clément et Grégory, dont les profils me semblent parfaits pour compléter l’équipe. Nous prenons le temps d’un week-end, en Normandie, pour en parler tous ensemble, et surtout pour moi de tâcher de les convaincre.
Voilà la présentation que je leur ferai pour leur expliquer ce que nous avons en tête :
Vous pourrez aussi retrouver sur ces liens certains des autres documents que j’ai préparé pour cette rencontre « importante » dans le déroulé du projet : de quoi réfléchir sur des valeurs communes (on ne reviendra plus sur ce doc et c’est bien une erreur), une vision de ce qu’il faudra faire pour prendre pied sur 2012 dans l’écosystème cloud / SaaS (pour le coup je vous conseille vraiment de faire un cod de la sorte !), l’approche « App Directory » que j’envisage, la place que je vois pour CloudZone (futur WeLoveSaaS), la vision des concurrents telle que je l’ai avec les contours alors du projet, ainsi qu’une projection de type Roadmap, absolument pas figée mais qui est censée donner un peu le rythme du projet et ouvrir la discussion sur les priorités qu’on se donne.
Sur le papier, je vois Greg sur la tech, et Clément sur le produit.
Nous convenons qu’ils aient, chacun, 15% du capital, et qu’ils soient rémunérés. Guillaume et moi conservons chacun 35% du capital.
Pour diverses raisons, quelques jours après le « séminaire », Greg ne s’engage finalement pas dans le projet, Clément lui oui. Nous arrivons à une répartition 41%-41% pour Guillaume et moi (dans l’esprit de la parité de départ, discutée début 2011), 18% pour Clément qui nous facturera en plus 2500€ par mois sous son statut d’auto-entrepreneur.
Premier trimestre 2012
C’est le moment où l’on commence à présenter le projet sous le nom Calabio (pour la petite histoire le nom, outre le fait qu’il soit libre en marque et en .com, vient des espaces de Calabi-Yau, un ensemble mathématiques à plus de 10 dimensions qui a permis la théorie des supercordes et qui ressemblent à un joli nuage comme ci-dessous). Et surtout les marques ne sont pas déposées, ça se prononce pas trop mal, c’est assez court, les noms de domaine et les twitters/facebook/… sont dispos.
On commence à travailler en mode “scrum”, après plusieurs réunions, à Lyon, à trois associés, pour comprendre ce qu’il faut prioriser. Pour Clément et moi, il est clair qu’il faut se mettre en mode “lean”, et faire plus de “cust-dev”, ou Customer Development. Comme on ne sait pas trop quoi chercher et ce sur quoi travailler, le plus important est donc d’aller chercher des retours de clients potentiels. Ou en tout cas de ceux qui ont des problèmes à résoudre sur le sujet sur lequel nous travaillons.
Côté produit, ça avance, avec une définition plus précise de ce que nous voudrions proposer dans notre alpha/beta. Je les mets en « mockups », dont voici quelques exemples (au passage, notez la mauvaise utilisation que nous faisons de scrum !) :
Et oui, il y a besoin de la traduction quand je fais des mockups
On se met aussi à travailler avec des périodes d’action « Guerrilla Plan » (sur le papier c’est bien, on n’a jamais vraiment bien trouvé notre rythme de croisière, on a été un peu trop gourmand je pense) pour focaliser sur certains points, se forcer à une forme « d’accountability » entre nous, et sortir la tête du guidon toutes les 4 semaines pour y voir un peu clair. Là encore, c’est une pratique que je vous conseille ! Un exemple ci-dessous :
En fin de mois, on reprend la feuille (que l’on affiche aussi au bureau et que l’on peut consulter tous les matins ou dès que cela est nécessaire pour se refocaliser), on fait les comptes, et on refait le plan du mois à suivre. Tout le monde « commit » sur certaines des entrées, et la discussion est en général toujours super intéressante et remotivante.
Sur cette période, notre premier stagiaire arrive (on en aura 2 en tout au final). Il est en charge du front end principalement (comprenez la couche supérieure du logiciel : événements JS, CSS, intégration du design, …). Je travaille en direct avec lui (comme il est sur Lyon), et du coup suis beaucoup plus dans le travail sur le produit qu’initialement prévu, et par conséquent moins aussi sur le customer development. Clément faisant moins de “produit”, il met l’intégralité de ses efforts sur le développement de la ligne éditoriale de WeLoveSaaS, ainsi que – étant développeur aussi – sur la prog de l’annuaire, des bundles, et de quelques autres fonctionnalités avancées de WeLoveSaaS.
20 mars 2012
Nous entrons ce jour-là dans un incubateur : Créalys, à Lyon. Cela fait quelques mois que nous sommes en discussions (depuis janvier, de mémoire), et nous avions passé quelques temps auparavant le premier round. Là, nous nous retrouvons devant une douzaines de membres du jury (principalement des structures type Oséo & Co.).
A la clé, une avance remboursable de 60K€ (c’est-à-dire que l’on nous avance de l’argent à dépenser sur certaines dépenses bien particulières : labos de recherche, montage de la boîte, formations, … — et que nous devons en payer systématiquement 20% tout de suite – l’argent n’est débloqué qu’au fur et à mesure des dépenses). Et un accompagnement sur la durée de l’incubation. Cela nécessite aussi de travailler avec un laboratoire, ce que nous faisons (au prix de pas mal de temps passé et de réflexions pour trouver des axes de recherche intéressants pour le projet) avec des chercheurs en cryptographie de l’ENS Lyon (passionnant comme sujet au demeurant – pas forcément crucial au niveau de la maturité de notre projet… mais comme l’innovation en France se doit d’être techno… c’est un autre débat !).
Pour avoir dirigé un incubateur, je sais que c’est cette partie surtout qui est vraiment intéressante, le miroir et le regard externe étant en général très importants pour éviter de passer beaucoup d’énergie sur les mauvaises priorités. Si vous vous demandez s’il faut rejoindre un incubateur, lisez cela.
Cela permet aussi de challenger un peu le modèle, pour la première vraie fois, et de prendre conscience de ce qu’on fait bien et ce que l’on ne fait pas bien. Et résulte aussi cette présentation ci-dessus qui donne l’idée de l’avancement du projet à cette date.
Printemps – tout début d’été 2012
On se donne comme mission de sortir une première version alpha pour le mois de mai, tous les efforts sont donc concentrés sur cela, avec un affinage progressif (sûrement trop lent de ma part !) de ce que l’on devra y retrouver.
Ci-dessous les premiers écrans fonctionnels (on a vraiment bien bossé l’ergo, au pixel près )…
Le catalogue des applications d’une entreprise : son « Appstore » de logiciels SaaS en quelque sorte
Le système d’invitation d’utilisateurs et de contrôle de l’appartenance à la même entreprise
Le système de notifications pour l’admin : qui utilise quel logiciel, qui a fait une demande, qui a des soucis, qui a rejoint la plateforme…
La gestion des équipes pour l’admin…
En gros, le logiciel doit permettre de : créer le profil de son entreprise, lister les applications utilisées par l’entreprise, inviter tous les utilisateurs à venir compléter leur profil. En prime, nous avons aussi, une fois que cette information est rentrée, l’accès à la liste de qui utilise quoi, un outil pour permettre à chacun dans l’entreprise de découvrir de nouveaux logiciels, de demander des accès ou l’achat d’un SaaS en particulier, ainsi qu’un outil pour gérer le départ d’un collaborateur en sachant quels comptes il faut lui clôturer.
C’est à ce moment-là je pense que l’on commence, à mes yeux, à prendre pas mal de retard et à être un peu en contradiction avec quelque chose qui est cher à mes yeux : la vélocité. Le retard est sûrement pris de manière collective, j’y suis pour beaucoup sûrement : moi dans la discussion avec les clients potentiels (je passe, sûrement en partie par confort, beaucoup (trop) de temps sur le produit et le design de l’expérience utilisateurs), mais aussi dans le développement du logiciel. Initialement prévu pour mai, nous lançons la bêta le 18 juillet… sans véritablement de métrics pour suivre ce qu’il en est (pour exemple voilà un doc de travail sur ce que nous souhaitions tracker - document non définitif).
Quoi qu’il en soit, je commence à lancer les invitations, avec un mail de ce type sur les cibles que nous croyons être les plus susceptibles d’utiliser notre produit : les PME plutôt “SaaS-Friendly” :
Peu à peu, on obtient des premiers retours (quand les gens testent, soit environ un alpha-testeur envisagé sur deux…). On améliore aussi le discours, pour arriver à un mail un peu plus pro, et surtout au bout de deux semaines, ayant épuisé les contacts “faciles”, auprès de contacts qui ne nous connaissent pas directement, et qui sont attirés par le projet et ses promesses.
Durant l’été : Pivot !
Durant l’été, donc, je poursuis les alpha-tests. Au total, près d’une quarantaine d’entreprises vont y passer, et la plupart des retours obtenus alors (toujours sans vraies métrics d’usage réel, alors que l’on sait que c’est primordial mais que nous dépriorisons sur la prod) ne vont pas du tout dans notre sens : les plus petites entreprises n’accrochent pas au produit, alors même qu’elles continuent à être conscientes qu’elles en auraient vraiment besoin.
Nous apprenons alors plusieurs choses, en mode “validated learning” cher à la Lean Startup :
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ce ne sont pas les TPE qui sont nos cibles, mais plutôt les un peu plus grosses entreprises
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notre interlocuteur ne peut pas être le dirigeant de l’entreprise, il manque trop de temps pour “investir” l’heure nécessaire à prendre en main notre outil et le diffuser en interne
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il faut que nous découvrions plus les DSI, qui semblent être notre porte d’entrée dans pas mal d’entreprises
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nous avons trop de fonctionnalités
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il nous manque *cruellement* des métrics d’usage
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nous sommes trop lents
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il est nécessaire de redévelopper une partie du projet, ou en tout cas de masquer certaines choses, d’en simplifier certaines autres, pour rendre le soft « compréhensible »
Sur ces bases, nous redéfinissons l’ambition “fonctionnelle” du projet, et nous focalisons sur quelques points précis pour ce qui va être le vrai pivot de notre projet :
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aider les DSI à prendre en main le sujet “SaaS” à l’intérieur de leur entreprise, en leur donnant un outil sympa pour en parler et diffuser les bonnes pratiques en interne
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pousser plus sur la découverte des bons outils SaaS, qui est l’un des points qui revient le plus souvent comme l’une des galères côté utilisateur final comme côté “responsable informatique” de l’entreprise
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limiter au maximum la “friction” lors de la prise en main de l’outil, qui dans notre V1 était vraiment trop complexe. Il faut d’après nous éviter au max que l’on doive passer des heures à saisir des données et comprendre comment ça marche : il faut que le produit puisse être utilisé avec un seul utilisateur, et non nécessiter que toute l’entreprise y soit présente pour que l’on commence à en voir l’intérêt.
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inclure dans le logiciel une partie éditoriale, que l’on maîtrise bien grâce à WeLoveSaaS, pour accompagner les DSI et les utilisateurs dans leur découverte et leur propre formation aux différents outils SaaS
Voilà qui donne de nouveaux mockups, et un nouveau « step » de développement (et aussi, zut, de nouvelles fonctionnalités…), et au final une nouvelle « gueule » pour notre logiciel (qui n’est alors utilisé par personne, hein) :
En juillet-août 2012, je profite aussi que ça se calme au niveau des contacts pour poser le premier « exec-summary » de Calabio. L’occasion aussi de plonger dans tout ce qui est finances et BP financier. Au final, l’executive summary est plus un document entre un BP et un vrai exec de 2 pages, avec finalement tout ce qu’il faut pour comprendre (en l’état) le projet. Il sera envoyé à quelques personnes de mon entourage pour avis sur le « financement potentiel » du projet par des BA pour début 2013.
15 septembre 2012 – Noël 2012
Sortie de la Beta v2. Enfin !
C’est par ce mail-type (ci-dessous) que j’invite une quarantaine de nouveaux testeurs, beaucoup plus “moyenne entreprise déjà bien structurée” à rejoindre la plateforme Calabio. Si l’on a alors des problèmes de stabilité, au moins a-t-on quelque chose à montrer et on peut vraiment expliquer où l’on va — et les retours commencent enfin à être intéressants.
Les discussions avec les DSI (beaucoup via mes réseaux d’anciens + le réseau du réseau — mais toujours des personnes que je ne connais pas directement) permettent de bien muscler le discours, de comprendre mieux les besoins.
On commence à y voir un peu plus clair. Notre positionnement business, fort des 9 mois précédents qui nous ont bien tanné le cuir, est vraiment de plus en plus crédible. Nous entrons en phase de recherche de fonds “non capitalistiques” avec un réseau de prêt d’honneur (Inovizi) et pour un prêt bancaire associé. Le total de ce plan de financement devrait nous permettre de staffer un minimum, de rembourser une partie du cash sorti, et de patienter tranquillement en mode bootstrap jusqu’à ce que la techno soit prête. C’est le doc que vous pouvez retrouver tout en haut de cette page, qui reflète la maturation du projet à date.
En parallèle (sûrement encore une erreur de ma part sur le manque de focus et de priorisation, j’ai de longue date prêché pour cette voie) nous décidons le développement d’une version “solo”. Ce sera myCalabio, qui est en fait un outil de partage des outils que chacun utilise, avec un moteur de recommandation d’autres applis (une fois que nous savons les 8 applis, par exemple, que vous utilisez, nos algos nous permettent de vous proposer une nouvelle application à tester chaque semaine ou mois). Ainsi qu’un bel effort de dév et de r&d, avec une centralisation via les APIs des principaux services sur un dashboard vraiment chouette.
Voilà à quoi cela ressemble, en version « look revisité une nouvelle fois par mon besoin compulsif de faire de belles interfaces » :
La page d’accueil de Calabio / myCalabio
Les listes de logiciels utilisés par ceux qui désirent les partager, avec la promesse de recommandations et de la possibilité de trouver de nouveaux logiciels qui les intéressent.
La page de profil dûment complétée, censée faire un peu de referral aussi
Le dashboard que nous proposions, avec une dizaine de SaaS pluggés dessus, permettant sur une seule page (dont on pouvait même choisir le fond d’écran ) de voir les infos principales de ses logiciels : atteinte de quotas, derniers partages, dernières discussions, remontées d’analytics, … en mode dashboard pro SaaS donc. Sûrement le plus beau morceau de code que nous ayions fait, c’était quand même un joli logiciel avec le recul !
L’outil de recherche et de sélection de logiciels, tout en interactions .js…
Le système poussait à un Linkedin Connect, permettant ainsi pour nous de faire connaître le service via les flux de nos utilisateurs (annonce de création de compte, annonce d’utilisation d’un nouveau logiciel, …) mais aussi et surtout de renforcer l’intérêt du service en vous montrant qui utilise quoi parmi vos connexions, d’une part, et aussi en tirant des stats et de la data d’usage en fonction des profils d’utilisateur. Pour proposer de meilleures recommandations, et aussi des datas aux éditeurs et leur permettre de cibler leur marketing via notre plateforme.
L’idée est là de capter en mode “IT Consumerization” une base importante d’utilisateurs de SaaS (pas forcément les DSI, mais bien les utilisateurs directement) pour :
1. avoir de la data pour faire tourner nos algos de recommandation de logiciels ;
2. avoir un produit sympa, bien délimité, pour montrer qu’on sait sortir quelque chose rapidement ;
3. choper de la traction pour ensuite remonter dans les entreprises depuis les utilisateurs vers les DSI / Directions ;
et enfin 4. il y a un vrai intérêt business puisque via l’affiliation il est possible de prendre, sur certains logiciels, jusqu’à 25 ou 30% du recurring revenue, lifetime (derrière les mots anglais barbares, cela signifie que si je ramène un client à un éditeur de logiciel, je gagne, à vie, 20 à 30% des dépenses engendrées – pas mal avec certains softs à 200€ par mois )
Du côté de WeLoveSaaS, cela va pas mal non plus. Nous sommes clairement le média n°1 sur le SaaS pour entreprises à ce moment de l’aventure, en à peu près un an. On culmine à environ 800-1000 visiteurs jours bien qualifiés, on a une roadmap assez claire sur ce qu’il faut améliorer. On lance aussi, à la demande des éditeurs, des offres de visibilité sous forme de bannières principalement, et on parvient à en vendre quelques unes sans trop d’effort. On a aussi organisé deux BarCamp SaaS (un à Paris, un à Toulouse), ce qui accroît notre proximité avec les éditeurs, tous d’après leurs échanges très en attente de moyens de vendre de manière indirecte leurs logiciels…
Côté relations dans l’équipe, c’est en revanche beaucoup plus compliqué à mon sens, malgré les quelques bonnes nouvelles qui montrent qu’on avance, même si c’est trop lentement à mon goût.
Au-delà de la présence physique ou de la localisation géographique – nous travaillons à distance (Clément entre la Normandie, Paris, et l’Allemagne et Guillaume souvent à Saint-Etienne)- et même si ce n’a jamais été un point de focus unique pour moi, je reste persuadé que l’on peut très bien fonctionner à distance si certains fondamentaux sont réunis – c’est plutôt deux sentiments très personnels qui vont préparer le terrain, petit à petit, pour l’explosion de la startup :
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je n’arrive plus à travailler avec Guillaume, la communication est très compliquée, je n’ai pas de visibilité sur les avancées tech, les (quelques) méthodos que nous avons mis en place ne sont pas vraiment suivies, et je rumine tout cela depuis déjà quelques temps, même si parfois je trouve le moyen d’en parler avec lui le message ne passe pas ou plus entre nous
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j’ai le sentiment que je tire le projet seul, que l’on ne partage pas vraiment une vision commune, et que je n’ai pas deux dirigeants avec moi : Clément se met peu à peu dans une situation plus “premier salarié”, et Guillaume ne me donne pas de gages sur la partie “organisation de la partie dév/technique” et sur sa propension à gérer / leader une équipe.
Noël 2012, début 2013.
Après des mois de novembre et de décembre 2012 bien remplis (on lance et teste pas mal de choses, je bosse pas mal sur les dossiers bancaires et prêt d’honneur, …) j’arrive en fin d’année un peu lessivé. Je sais que le projet a un vrai beau potentiel, mais l’arrivée de Noël me donne le temps de réfléchir à l’année écoulée.
Le 27 décembre précédent (donc fin 2011) j’avais eu une longue discussion avec Guillaume en mode Walk&Talk dans Lyon, où je m’étais ouvert de ce qui était important pour moi dans l’aventure de cette startup : communication, rapidité d’exécution, construction d’équipe, ambition, besoin d’être challengé par mes partenaires… J’ai eu plus ou moins la même conversation mi-novembre 2012, avec l’impression que les mêmes problèmes sont toujours là, ou que l’on n’arrive pas à en parler clairement. Et c’est finalement en faisant la liste de ce qui me frustre dans le projet, et en regardant ce que l’équipe actuelle me semble pouvoir faire ou changer, après un peu plus de 14 mois dans les pattes, et dans les conditions que nous nous sommes nous-mêmes construites au fil du temps, que je prends conscience que l’aventure doit toucher à sa fin.
Le but n’est pas ici d’exposer les raisons qui m’ont poussé à décider de la fin de l’aventure, je ne crois pas que ce soit ni facile ni utile d’en faire étalage. Et je crois que c’est peut-être le point qui demande le plus de recul, ce dont je manque très sûrement encore à l’heure actuelle.
Quoi qu’il en soit, je suis passé par beaucoup d’émotions, beaucoup de tristesse, une sensation de vide, de l’énervement, de l’envie de continuer coûte que coûte car ce n’était qu’un mauvais moment à passer, du soulagement, de la grosse frustration, en passant par le calcul de toutes les possibilités… ma décision était prise de ne pas continuer ce projet.
Ensuite, janvier-juin 2013
Annonce à Guillaume puis à Clément, incompréhensions compréhensibles (j’ai très mal géré je pense la communication et les annonces), négos par rapport à ce qu’on devait encore à Clément, puis échanges plus durs avec Guillaume, amitié de 10 ans qui vole en éclats, nécessité de gérer la transition de WeLoveSaaS (toujours pas réglée par ailleurs), remboursement des dettes (Guillaume avait avancé la majorité des dépenses via son entreprise), annonce aux personnes impliquées de près, puis de moins près, annonce et explication aux proches « perso » dont certains amis communs…
La fin d’une startup est toujours abrupte, et sans doute l’a-t-elle été encore plus pour mes deux anciens associés du fait que c’est moi qui ai tiré la prise, et lorsqu’en plus il y avait des relations d’amitiés qui préexistaient. Et j’ai préféré détricoter l’ensemble le plus rapidement possible pour que chacun puisse repartir sur de nouvelles aventures, forts des enseignements de celle-ci.
De mon côté j’ai, suite à l’annonce de la décision, évidemment quelques moment de déprime, ainsi qu’un gros manque suite à une expérience intense qui s’arrête. J’imagine que la retraite doit faire un peu la même sensation, on a du mal à se dire que c’est terminé, on regrette, on se dit que ce n’était finalement pas si mal, qu’on aurait dû se donner encore un peu de temps… et puis l’on se dit aussi que c’était la seule décision qu’il fallait prendre et qu’il faut maintenant se remettre en selle sur autre chose, focaliser son énergie pour qu’elle redevienne positive, que l’on refasse ce que l’on sait faire de mieux : lancer un business . Même si l’on s’est planté, ce ne sont pas les personnes qui sont fichues, c’est le projet.
Retour sur quelques réflexions faites à l’époque du lancement de la startup.
Je me souviens avoir pas mal réfléchi (d’ailleurs cela avait donné quelques articles) à certains points “spécifiques” liés à la façon dont je lançais le projet. Maintenant que le vécu est passé dessus, c’est l’occasion d’y revenir
S’associer avec un ami. C’est clairement le point le plus douloureux de l’expérience. Puisqu’en l’occurrence j’ai un ami en moins après l’aventure. Ce qui ne veut pas dire que ça ne peut pas marcher, c’est au contraire un vrai test de la solidité de vos amitiés. Et cela signifie aussi qu’il faut faire *encore plus* le boulot de préparation en amont pour bien aligner les intérêts, les envies, la projection dans le projet… et ne pas oublier de se parler franchement de manière continue.
Partir sans idée. Là pour le coup, je suis convaincu maintenant que l’on peut décider de se lancer, et de trouver une bonne idée (ou en tout cas ce qui pousse à se lancer dans une voie particulière) de manière “intellectuelle” et programmée, en moins d’un mois à mi-temps. Il faut juste se dire que c’est un point de départ et qu’à l’arrivée le projet en sera bien différent.
Faire 50-50. J’étais un assez fervent supporter du 50-50, qui est pour moi l’une des bonnes manières d’aligner les intérêts des associés. Cela reste vrai, dans mon esprit, avec quelques petites précisions : c’est le cas lorsque le projet ne peut pas être monté tout seul et que les zones de compétences sont aussi importantes, et cela doit pouvoir évoluer ensuite en fonction de l’implication réelle des associés, et non pas rester figé comme un truc gravé dans le marbre. Et évidemment, cela est à revoir si d’autres personnes rentrent dans la danse !
Erreurs et leçons.
Voilà, si vous arrivez jusque là, bravo, ça a été relativement long, désolé
La meilleure partie d’un post-mortem, pour celui qui l’écrit, c’est évidemment celle où l’on tire quelques leçons de ses erreurs. Si cela ne vous servira pas forcément (je pense qu’on apprend 10 fois moins des erreurs des autres que des siennes, donc faites les vôtres pour apprendre, héhé !), je sais que je repasserai moi-même relire ces lignes de temps à autre… histoire de ne pas oublier !
En matière d’association, toujours écrire ce qu’on attend de l’autre, et combien/comment on le valorise. Je crois que la première bonne étape, comme l’a bien expliqué mon copain Franck dans son concept de Minimum Viable Team, c’est de se tester sur un petit projet. Je ne l’ai pas fait et on est tous partis directement dans le dur sans se donner la chance de s’apprivoiser les uns les autres (peut-être aussi ne le voulais-je pas vraiment et souhaitais-je juste foncer comme je l’entendais ?). La seconde bonne étape est d’envisager les cas où ça tourne mal, et d’écrire quelque chose, sous forme d’un pacte d’associés. Vraiment, si vous êtes déjà dans le rush de la vie quotidienne et que vous n’en avez pas un (même rédigé entre vous sans avocat), il y a urgence : prenez 2 jours au vert entre associés pour le faire.
Vélocité & recherche du premier client / utilisateur. On ne va jamais assez vite en création d’entreprise, je pense. Et il est très facile de se complaire dans des phases “internes” : écriture du business-plan, polishing de l’interface pour qu’elle soit vraiment jolie, création des outils internes, lecture d’études de marché ou de grandes tendances sectorielles, recherches sur la concurrence… On a vite dérapé d’un mois, puis deux… Alors que la seule chose qui compte, ce sont les clients. En trouver un premier, lancer un premier produit, chercher à vendre quelque chose : tout cela peut et doit se faire dans les 3 premiers mois du projet à mon sens au risque de taper dans le mur d’ici peu de temps…
Focus. Pour aller vite (et bien), il faut se forcer à être monomaniaque. Quitte à changer de monomanie de manière récurrente et fréquente, mais il faut décider d’abandonner de nombreux combats pour se focaliser sur un obstacle à la fois. On ne peut pas être bon partout en même temps, et c’est beaucoup plus efficace de se spécialiser, même pour ne serait-ce qu’une semaine sur un point précis qu’il faut « faire tomber ».
Surtout avec des amis, ne pas louper la phase d’alignement des objectifs, des valeurs, des apports à l’autre. On a vraiment trop tendance à se dire que le socle amical va suffire à tout aligner que l’on se réfugie bien trop tôt dans le quotidien du projet et dans les tâches de chacun, en se disant « de toute manière on est pote, pas besoin de tirer certains trucs au clair ». Alors que ce n’est pas parce que l’on est amis que l’on cherche forcément la même chose, où que l’on place la barre du succès au même endroit. Et quand l’on avance trop sans être aligné sur ces choses fondamentales, l’incompréhension est immense et toute tentative de résolution « pacifique » compliquée…
Communication, communication, communication… Encore une fois, c’est le point clé de toute association qui marche. Si la communication est un problème, c’est à mon sens le vrai signe qu’il y a quelque chose qui cloche, de bien plus profond que juste les quelques énervements qu’il est normal de ressentir lorsque l’on vit quelque chose de fort et de stressant, de nombreuses heures par jours sur de nombreux mois, avec quelqu’un.
Vision. Au-delà du produit, du business-model, des fonctionnalités, de son plan d’acquisition… un élément vital pour une entreprise est la vision. C’est l’objectif très long terme qui permet, quelles que soient les difficultés rencontrées en chemin, et quels que soient les pivots qui arriveront de toute manière dans les premières années de la startup, de garder un cap, de prendre les décisions difficiles, et de rameuter autour de vous ceux qui vont vous aider à grandir : investisseurs, salariés, associés, partenaires, … Il faut quelque chose d’ambitieux et de fort, certes qui ne vient pas tout seul, mais qui est un vrai plus pour votre aventure.
Le coût de ces leçons.
25K€ de dépenses sur le projet pour ma pomme (un peu moins pour Guillaume, rien pour Clément qui lui a été payé pour son travail), 18 mois sans revenu, un goût amer, un ami en moins, l’utilisation de quelques jokers persos vis-à-vis de mon entourage, beaucoup d’énergie perdue en chemin, un peu de naïveté disparue, des contacts réseau mobilisés pour peu de résultat, le sentiment que c’était vraiment le bon timing (perso et marché) pour ce projet et que cela ne se rouvrira peut-être pas de si tôt, quelques belles opportunités de rejoindre d’autres belles startups non poursuivies, et en tant que celui qui tirait le projet et a décidé de tirer la prise, j’ai en prime la responsabilité de faire porter l’échec à mes anciens associés aussi……
Tout n’est pas à mettre sur le même plan, évidemment, mais globalement, l’aventure n’est pas une franche réussite comme vous vous en doutez, et malgré aujourd’hui le fait que ce soit (un peu, seulement) digéré et que du coup je suis quand même moins noir qu’il y a seulement quelques temps…
Même si j’ai énormément appris, le trou laissé par l’aventure est encore assez important, et c’est quelque chose de finalement assez dur à assumer. Même si mes discours sur l’échec et les discussions avec de nombreux entrepreneurs qui se sont plantés me font relativiser cela (la vie business est longue ), il n’en reste pas moins que j’aurais préféré ne pas me planter ! Et que “l’apprentissage” ne paiera que sur le long terme, au gré des projets suivants…
Quoi qu’il en soit, je vous partagerai réussites et plantages à venir sur ce blog, évidemment !
N’hésitez pas à réagir dans les commentaires ci-dessous, ça me fera plaisir de voir ce que vous pensez de ce partage d’expériences !
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