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09 Jan 12:06

Tribunal d'Instance de Nantes, jugement du 19 décembre 2014

by Maryline Barbereau

EXPOSE DU LITIGE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par déclaration au greffe reçue le 31 décembre 2012, M. Bernard O. a sollicité la convocation de la SAS FREE d'avoir à comparaître devant la juridiction de proximité de Nantes aux fins de la voir condamner à payer :

  • la somme principale de 1 000 € ;
  • celle de 100 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice de jouissance ;

Il expose qu'il sollicite une diminution du coût du forfait dans le cadre du contrat avec FREE dans la mesure où pendant deux ans sa ligne n'a pas été opérationnelle (mauvaise qualité, faible débit et nombreuses coupures).

Les parties ont été convoquées par le greffe en application de l'article 844 du Code de procédure civile à l'audience du 19 avril 2013 et finalement l'affaire a été évoquée à l'audience du 14 novembre 2014, à la suite de quatre renvois sollicités par les parties.

A l'audience, la SAS FREE a soulevé in limine litis la nullité de l'acte introductif d'instance, en application des articles 1, 58, 114,117, 411,828 et 843 alinéa 2 du Code de procédure civile pour défaut de régularité de la signature du demandeur, effectuée par voie électronique et dont la validité de la certification, existant dans le rapport contractuel entre la société commerciale qui établit et transmet les déclarations au greffe (demanderjustice.com) et son client, ne concerne pas la saisine du tribunal.

Elle a invoqué également la nullité de la saisine dans la mesure où M. O. a donné mandat à la société demanderjustice.com, qui n'est pas habilitée par la loi conformément à l'article 414 du Code de procédure civile.

En défense à l'incident, M. O. a fait valoir que c'est bien lui qui avait saisi le juge, parlant à la première personne du singulier, n'ayant utilisé les prestations de la société demanderjustice.com que pour utiliser les outils fournis (formulaire CERFA, lien vers le site du ministère de la justice...) et non pas en lui donnant mandat d'agir en son nom. Il a insisté sur le fait qu'il avait lui-même validé ses demandes en cliquant à l'issue du processus et enjoignant une copie de sa carte nationale d'identité. Il a sollicité le rejet de la demande de nullité.

Conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, il convient de se référer aux écritures des parties déposées et évoquées à l'audience du 14 novembre 2014, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions.

L'incident plaidé a été joint au fond.

Sur le fond, M. O., qui a dit disposer d'une ligne Internet haut débit depuis le 08 octobre 2010, a mis en avant les multiples incidents et déconnexions qui ont eu lieu et ont persisté entre le 25 octobre 2010 et l'été 2013, malgré de nombreuses interventions de techniciens de FREE ou de FRANCE TÉLÉCOM, l'empêchant de conserver l'option TV le 11 mars 2011. Il a souligné qu'à la suite d'une expertise conjointe des deux services du 02 octobre 2012 FREE avait fini par reconnaître son incapacité à améliorer le rendement de sa ligne, le service étant fourni "en l'état".

Il a rappelé l'existence d'une obligation de résultat envers le consommateur pesant, en application de l'article L121-20-3 du Code de la consommation, sur le fournisseur d'accès quant à l'accessibilité au réseau et faute d'avoir garanti un accès continu au réseau, et en l'absence de preuve d'une force majeure, la société FREE a engagé sa responsabilité et devait lui rembourser les frais engagés pendant les périodes de blocage total et pour l'option TV non utilisée, évalués à 300 € (10 mois sans accès complet au service).

Il a sollicité, en application des articles 1142 et 1147 du Code civil, 700 € de dommages et intérêts pour réparer ses préjudices de jouissance et moral, ayant souffert d'une part de privation de réseau ou de déconnexions régulières et intempestives et d'autre part de l'inertie de la société FREE qui l'a laissé pendant plus de trois ans se débattre avec ses difficultés pour finalement changer son équipement pendant l'été 2013. Il a expliqué que d'autres problèmes étaient intervenus en octobre 2013 mais que dans la mesure où le service juridique était saisi, il ne pouvait plus demander d'assistance technique.

Il a sollicité 1000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et que l'exécution provisoire soit ordonnée.

En défense, la SAS FREE a sollicité le débouté des demandes et la somme de 800 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en faisant valoir qu'elle était intervenue dès le 25 octobre 2010 pour remédier au dysfonctionnement initial dénoncé et que par la suite, aucune défaillance n'a été constatée jusqu'au 10 septembre 2012, date après laquelle elle ne conteste pas qu'elle n'a pu améliorer la ligne et a proposé le 13 novembre 2012 la résiliation sans frais du contrat, que le client a refusée.

Elle a opposé que M. O. ne rapportait pas la preuve de défauts dans les services proposés depuis novembre 2012 jusqu'à l'été 2013 ou encore à ce jour, rappelant qu'elle utilisait pour transporter ses services les lignes téléphoniques cuivre du réseau de FRANCE TÉLÉCOM, et que ce n'était qu'après le câblage que l'on pouvait mesurer la bonne ou moyenne performance de la ligne, les services offerts par FREE l'étant sous réserve des caractéristiques techniques de la ligne.

Elle a avancé avoir mené toutes les investigations et améliorations techniquement possibles, le débit ayant été relevé comme conforme aux prescriptions contractuelles, ce qui écartait tout manquement à ses obligations et donc toute réparation au titre des dommages et intérêts.

A titre subsidiaire, elle a fait valoir qu'aucun préjudice n'était établi par M. O. et a sollicité la résiliation de contrat.

Là encore, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, il convient de se référer aux écritures des parties déposées et évoquées à l'audience du 14 novembre 2014, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions.

En application de l'article 467 du Code de procédure civile, le présent jugement, non susceptible d'appel, sera contradictoire, toutes les parties étant présentes ou représentées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur l'incident de procédure, joint au fond :

Les conditions générales de la société DemanderJustice SAS, qui propose aux justiciables, dans les instances où le ministère d'avocat n'est pas obligatoire, dans le cadre d'un contrat d'entreprise, un service automatisé de saisine du tribunal, prévoient que le client -demandeur renseigne et complète seul, sur les formulaires proposés sur Internet, sa demande, sans aide ou conseil, scanne les pièces de son dossier et les joint à sa déclaration en ligne, le dossier étant ensuite généré informatiquement et adressé par voie postale au tribunal.

La déclaration de M. O. en date du 21 décembre 2012, rédigée à la première personne du singulier, de façon très personnelle, montre bien qu'elle ne résulte pas des conseils d'un juriste, qui n'aurait pas manqué d'invoquer les textes légaux et une motivation plus professionnelle.

D'une part, le système utilisé par DemanderJustice induit que la demande n'est validée que par le "clic" du client sur son clavier d'ordinateur, geste qui n'appartient qu'au client-demandeur, qui joint de surcroît une copie de sa carte d'identité. D'autre part, il résulte des débats à l'audience que c'est bien M. O. qui a rempli la déclaration sur le site de demanderjustice.com, formulé ses demandes initiales, modifiées par la suite quand il a eu recours à un avocat, et apposé sa signature électronique.

En ce qui concerne la signature électronique par laquelle M. O. a validé sa demande le 21 décembre 2012, et qui est formalisée sur la déclaration par un graphisme impersonnel, il convient de constater qu'elle a reçu la certification CertEurop, conforme au décret du 30 mars 2011, permettant de lui conférer la même force probante que la signature papier, en application des articles 1316-3 et 1316-4 du Code civil et d'assurer l'identité du signataire. (pièce n°4 et attestation du 21 mars 2013)

Il n'est pas rapporté de preuve contraire permettant de faire échec à la présomption de fiabilité conférée par cette certification CertEurope, en application de l'article 288-1 du Code de procédure civile.

Par ailleurs, M. O. à l'audience a bien fait confirmer que la déclaration et les pièces adressées au tribunal sont celles qui procèdent de sa demande faite par Internet.

Enfin, il n'est pas rapporté la preuve de l'existence d'un mandat de représentation entre M. O. et la SAS Demander Justice, alors qu'il résulte des conditions générales que cette dernière n'assure ni conseil, ni rédaction, ni représentation et que son nom ne figure sur aucun acte de saisine.

Dès lors, M. O., titulaire de l'action en responsabilité contractuelle, a valablement saisi la juridiction de proximité de Nantes, en application des articles 58 et 843 du Code de procédure civile, sans qu'aucune nullité de sa déclaration saisissant la juridiction soit établie.

Sur le fond :

Aux termes des dispositions de l'article 1142 du Code civil, toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur.

Aux termes des dispositions de l'article 1147 du Code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu au paiement de dommages et intérêts, soit en raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Le contrat de fourniture d'accès FREE Haut Débit signé le 08 octobre 2010 entre la SAS FREE et M. O., pour 29,99 €/mois, incluant l'accès Internet haut débit et l'abonnement téléphonique, relève de l'article L121-20-3 du Code de la consommation, alors en vigueur (pièce n°11 demandeur).

Aux termes de 1' article L.121-20-3 du Code de la consommation, le professionnel est responsable de plein droit à 1' égard du consommateur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à distance, que ces obligations soient à exécuter par le professionnel ou par d'autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. Toutefois, il peut s'exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable, soit au consommateur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers au contrat, soit à un cas de force majeure.

Il résulte des pièces du demandeur n° 12, 12-1, 12-2, 12-3, 12-4, 16, 15 et n°17, 18, 19 de la société FREE que la ligne de M. O. a rencontré, dès le 25 octobre 2010, des dysfonctionnements résultant de déconnexions régulières ou de débit insuffisant et que les 13 et 14 novembre 2012 la société FREE lui a fait savoir, en reconnaissant les difficultés, qu'elle ne pouvait améliorer les capacités de sa ligne, dépendant de FRANCE TÉLÉCOM, le service étant fourni "en l'état".

Une indemnisation a alors été offerte à M. O., en fonction de la durée de la période d'incident, de même que la résiliation du contrat, sans frais.

Il résulte des fiches d'intervention du 25 octobre 2010 de FREE et du 27 octobre 2010 de FRANCE TÉLÉCOM que le problème initial sur la ligne a été résolu ("ligne bonne aux essais"- pièce n°13 FREE). D'ailleurs, il résulte des écritures de M. O. que les périodes d'accès à Internet défaillant n'ont recommencé qu'à partir du 1er juin 2012. Sont seulement prouvés par les fiches d'intervention des 10 septembre 2012, 14 et 29 janvier 2013, le mauvais débit de la ligne, inférieur au plancher prévu par les conditions générales en vigueur au 1er octobre 2010 (63 au lieu de 64Kbits) et l'absence .de résolution du problème, la dernière fiche mentionnant que la ligne n'est pas optimisable.

L'impossibilité de jouir de son option TV à partir du 11 mars 2011 n'est justifiée par aucune pièce, dans la mesure où après l'intervention du 09 novembre 2010 ayant conseillé au client de retirer une prise multiple parafoudre et de changer sa prise Télécom défectueuse, le problème n'est plus évoqué dans les fiches d'intervention produites, notamment celle du 20 juin 2011, ni dans les courriers de réclamation de M. O. du 19 novembre 2012 et du 09 décembre 2013.

M. O. ayant fait préciser dans ses écritures que le problème de déconnexions intempestives avait été réglé lors du changement de matériel en été 2013, les périodes de défaillances techniques ciblées par M. O. :

  • du 01 juin 2012 au 28 août 2012,
  • du 27 mai 2013 au 07 juin 2013,
  • du 21 juillet 2013 au 06 août 2013, sont établies.
  • Cependant, s'il apparaît qu'il s'est plaint de nouveau en décembre 2013 et à partir du 25 juin 2014 d'un mauvais débit, et qu'il a de nouveau demandé à FREE de le dédommager pour la période du 25 juin au 05 septembre 2014, il convient de relever d'une part qu'il ne rapporte aucune preuve corroborant ses dires, alors qu'un technicien est intervenu chez lui deux fois en juillet 2014 et que le bon fonctionnement de son équipement, renouvelé le 04 juillet 2014, a été vérifié (pièces n°3l et 35 M. O.) et d'autre part, qu'il ne formule aucune demande à ce sujet.

Tenue d'une obligation de résultat quant aux services offerts, la société FREE ne justifie ni d'une force majeure, ni du fait d'un tiers, en l'espèce FRANCE TÉLÉCOM, imprévisible et insurmontable, alors que l'éventualité de la mauvaise qualité de la ligne FRANCE TÉLÉCOM potentiellement utilisée pour transporter ses services est évoquée dans les conditions générales et que précisément cette ligne pouvait parfaitement être testée avant de faire souscrire le contrat d'abonnement à M. O.

La société FREE reconnaît dans ses courriers des 13 et 14 novembre 2012 que l'insuffisance du service offert à laquelle il ne peut être remédié justifie un dédommagement et la résiliation du contrat, faisant l'aveu de l'inexécution de ses obligations contractuelles.

Cependant, s'il est légitime d'assurer une indemnisation au client en cas d'inexécution contractuelle, il y a lieu de tirer les conséquences de l'impossibilité durable pour la société FREE de respecter ses engagements, qui ne doit pas servir de base à des demandes renouvelées de dédommagement, alors que M. O. sait depuis le 13 novembre 2012 que le service restera défectueux et qu'il maintient malgré tout son abonnement.

Dès lors, en application de l'article 17.1 des conditions générales de vente, et conformément à la demande de la société FREE, il convient de prononcer la résiliation du contrat, puisque " la perturbation grave et/ou répétée du réseau de boucle locale ayant pour cause ou origine l'accès de l'abonné" est établie. La résiliation, sans frais pour M. O. qui n'a pas manqué à son obligation de paiement, prendra effet 16 jours après la signification de la présente décision.

Pour compenser le préjudice de jouissance en lien avec les périodes d'incidents établies, la SAS FREE sera condamnée à payer à M. O. la somme de 120 €.

Le nombre de fiches d'interventions et d'énergie dépensée de part et d'autre dans des appels, mails, courriers de réclamation, justification et les déplacements divers démontrent que cet abonnement ADSL a été une source régulière de soucis pour le client. Son préjudice moral, tempéré par le fait qu'il a sciemment maintenu après novembre 2012 un abonnement qu'il savait insatisfaisant, sera réparé par l'allocation de 200 € de dommages et intérêts.

Il est équitable d'allouer 500 € à M. O. au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de débouter ainsi la société FREE de sa demande faite au même titre.

Ni l'urgence, ni la nature de 1' affaire ne commande que 1' exécution provisoire soit ordonnée.

La société FREE, qui succombe, sera tenue aux entiers dépens de l'instance conformément à l'article 696 du Code de procédure civile.

DECISION

Le juge de proximité, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en dernier ressort :

Déclare la saisine de la juridiction de M. Bernard O. régulière.

Condamne la SAS FREE à payer à M. Bernard O. les sommes suivantes :

- 320 € (trois cent vingt euros) à titre de dommages et intérêts, toutes causes confondues ; - 500 € (cinq cents euros) en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Prononce la résiliation, sans frais pour M. O., du contrat d'abonnement forfait Freebox du 08 octobre 2010, avec effet à l'issue de 16 jours suivant la signification de la présente décision.

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Condamne la SAS FREE aux entiers dépens de l'instance.

Le Tribunal : Marie-Caroline Mathieu de Boissac (président), Elise Vilain (greffier)

Avocats : Me Yassine Maharsi, Me Margaux Sportes, Me Laurent Douchin

Notre présentation de la décision

05 Jan 16:43

Vidéosurveillance : pas d'exception pour activité personnelle

by Sylvie Rozenfeld

La Cour de justice de l'Union européenne a estimé, dans un arrêt du 11 décembre 2014, que le système de vidéosurveillance d'un particulier filmant sa maison, et partiellement l'espace public, et dont les images sont enregistrées sur un disque dur, constitue un traitement de données à caractère personnel. L'exception prévue à l'article 3 alinéa 2 de la directive de 1995 relative à la protection des données à caractère personnel pour les traitements effectués « par une personne physique pour l'exercice d'activités exclusivement personnelles ou domestiques » ne s'applique pas. La Cour considère d'une part que l'image d'une personne enregistrée par une caméra constitue une donnée à caractère personnel « dans la mesure où elle permet d'identifier la personne concernée ». D'autre part, il s'agit bien d'un traitement au sens de la directive puisque le système de vidéosurveillance stocke les images dans un dispositif d'enregistrement continu, à savoir un disque dur. Reste l'exception prévue pour les activités personnelles. Celle-ci est par exemple appliquée pour la tenue d'un répertoire personnel d'adresses. Or, la Cour ne l'a pas admise dans ce cas. S'agissant d'un droit fondamental telle que la vie privée, cette dérogation doit s'interpréter de manière stricte. Or ici, la caméra captait partiellement l'espace public, et de fait était dirigée vers l'extérieur de la sphère privée.
Cette affaire concernait un particulier tchèque qui avait fait l'objet d'attaques pendant plusieurs années de la part d'un inconnu qui n'avait pas pu être démasqué. Il avait donc installé un système de vidéosurveillance qui filmait l'entrée de sa maison, la voie publique ainsi que l'entrée de la maison située en face. Grâce à ce système deux suspects avaient pu être identifiés et dénoncés à la police. L'un des deux a demandé la vérification de la légalité du dispositif auprès de la Cnil tchèque. Celle-ci avait conclu que le particulier avait commis plusieurs infractions du fait de l'absence de recueil du consentement des personnes concernées, du défaut d'informations sur son étendue et ses finalités et de déclaration préalable.
En France, les particuliers n'ont pas le droit de filmer la voie publique, même pour assurer leur sécurité, en vertu de l'article 9 du code civil, relatif à la protection de la vie privée. Seules les autorités publiques peuvent le faire. Dans ce cas, le dispositif doit être autorisé par le préfet après avis d'une commission départementale présidée par un magistrat. Les formalités à accomplir échappent à la Cnil, sauf dans le cas où les caméras sont associées à un système biométrique, comme la reconnaissance faciale. Dans ce cas, il faudra demander l'autorisation à la Cnil.

05 Jan 16:35

Premier jugement sur l'usurpation d'identité numérique

by Sylvie Rozenfeld

C'est dans le cadre d'une affaire d'un faux site officiel de la députée-maire du VIIème arrondissement de Paris qu'est intervenu le premier jugement se prononçant sur l'article 226-4-1 du code pénal qui a récemment introduit l'infraction d'usurpation d'identité numérique. Par un jugement du 18 décembre 2014, le TGI de Paris a condamné un homme à 3 000 € d'amende sur ce fondement ainsi que sur celui d'introduction frauduleuse de données dans un système d'information. Celui qui avait mis à disposition son serveur a été condamné à 500 € d'amende, en tant que complice d'usurpation d'identité.
Un informaticien d'Orange avait créé un faux site officiel de Rachida Dati qui reprenait sa photo et sa charte graphique et offrait la possibilité aux internautes d'y publier des commentaires sous la forme de communiqués de presse, soit-disant rédigés par la maire, mais au contenu trompeur et parodique. Ces communiqués étaient diffusés avec la mention « groupe Pipe » au lieu de « groupe PPE ». L'internaute se trouvait en fait sur le site officiel, très similaire au site parodique. L'instigateur de cette supercherie avait utilisé une faille de sécurité du site de la députée-maire, dite XSS ou cross-site scripting , créant une sorte de tunnel pour y injecter du contenu.
Le tribunal a considéré que l'identité de la femme politique avait été numériquement usurpée, dans la mesure où « ces mentions [« je vous offre un communiqué... » ou « merci pour ce geste citoyen »], aux côtés du nom de Madame Rachida Dati et sur un site reprenant la photographie officielle de la député-maire, sa mise en page et sa charte graphique, ne peut que conduire l'internaute à opérer une confusion avec le site officiel de celle-ci ». Mais encore fallait-il démontrer l'intention de commettre l'infraction. Le tribunal a estimé que l'auteur du faux site avait, en toute connaissance de cause, mis en place un dispositif permettant la mise en ligne par les internautes de tels faux communiqués au contenu sexiste et dégradant. Et en sa qualité de modérateur, il avait la possibilité de fermer son site ou à tout le moins de désapprouver la nature injurieuse ou diffamante des contenus rédigés, dépassant les limites de la liberté d'expression. En conséquence, le tribunal a jugé que le responsable du site s'était rendu coupable d'usurpation d'identité numérique. Ce dernier a également été considéré coupable d'introduction frauduleuse de données dans un système de traitement de données, du fait qu'il avait profité de la faille de sécurité du site officiel pour y introduire des instructions dans le but d'en modifier son comportement.
L'auteur du faux site a fait appel de la décision.

13 Mar 08:34

Allô oui j'écoute

by Eolas

La question des écoutes téléphoniques connait un regain d’actualité, entre l’inauguration à grand renfort de comm’ de la nouvelle plate-forme nationale des interceptions judiciaires à Élancourt, et surtout la révélation ce vendredi du fait que l’ancien président de la République a été mis sur écoute et qu’à cette occasion, une conversation avec son avocat a été transcrite et versée au dossier, conversation qui aurait révélé qu’un haut magistrat aurait proposé son entregent pour donner des informations sur un dossier judiciaire en cours.

Levée de bouclier chez les représentants ordinaux des avocats et de certains grands noms du barreau, pétition, et réplique cinglante en face sur le mode du pas d’impunité pour qui que ce soit en République. Et au milieu, des mékéskidis complètement perdus. Tous les augures l’indiquent : un point s’impose. Tentons de le faire, même si je crains in fine de ne poser plus de questions que d’apporter de réponses. Prenons le risque : poser les bonnes questions sans jamais y apporter de réponse est le pilier de la philosophie, empruntons donc la méthode.

Tout d’abord, les écoutes, qu’est-ce donc que cela ?

On parle en droit d’interception de communication, et il faut distinguer deux catégories au régime juridique différent : les écoutes administratives et les écoutes judiciaires.

Un premier ministre à votre écoute

Pour mettre fin à des pratiques détestables d’un ancien président décédé peu après la fin de ses fonctions, les écoutes sont à présent encadrées par la loi, ce qui est bon, car rien n’est pire qu’un pouvoir sans contrôle. Bon, comme vous allez voir, contrôle est un bien grand mot, mais c’est mieux que rien.

Ces écoutes administratives, dites “interception de sécurité”, car c’est pour notre bien, bien sûr, toujours, sont prévues par le Code de la Sécurité Intérieure. Ce sont les écoutes ordonnées par le Gouvernement pour tout ce qui concerne la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France (contre-espionnage économique donc), ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous. Elles sont destinées à rester secrètes, et même si rien n’interdit de les verser dans une procédure judiciaire si une infraction était découverte, à ma connaissance, ce n’est jamais le cas ou alors très peu (je ne l’ai jamais vu dans un de mes dossiers). Ces révélations nuiraient à leur efficacité future dans d’autres dossiers.

Les écoutes peuvent être demandées par trois ministres : celui de la Défense, de l’Intérieur et des Douanes (le ministre du budget donc). Ces ministres peuvent déléguer DEUX personnes de leur ministère pour faire les demandes en leur nom. Elles sont décidées par le Premier ministre, qui peut déléguer DEUX personnes pour signer les accords en son nom. Elles sont limitées en nombre total, mais par une décision du Premier ministre, donc c’est une limite quelque peu contigente et qui ô surprise est en augmentation constante. Ce nombre limité est fait pour inciter les administrations à mettre fin à une écoute dès qu’elle n’est plus nécessaire. Ce nombre maximal est à ce jour de 285 pour la Défense, 1455 pour l’Intérieur, et 100 pour le Budget, soit 1840 au total. En 2012, 6 145 interceptions ont été sollicitées (4 022 nouvelles et 2 123 renouvellements). Source : rapport d’activité de la CNCIS.

Ces demandes doivent être soumises pour avis à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) qui donne un avis non obligatoire, mais la Commission affirme être toujours suivie. Pour traiter ces 6 145 demandes, la Commission est composée de… trois membres, dont deux parlementaires et un président nommé par le Président de la République sur une liste de 4 noms dressée conjointement par le vice-président du Conseil d’État (le Président du Conseil d’État est, rappelons-le, le Premier ministre) et le premier Président de la Cour de cassation. Rassurez-vous, ils sont assistés de… 2 magistrats judiciaires.

On sent le contrôle pointu et approfondi. Pour achever de nous rassurer, le président de la Commission proclame dans son rapport d’activité la relation de confiance qui existe entre sa Commission et les services du Premier ministre (contrôle-t-on bien ceux à qui ont fait pleine confiance ?) et répond à ceux qui se demandent si la Commission est vraiment indépendante en citant… Gilbert Bécaud. Je suis donc parfaitement rasséréné et serein.

Pour la petite histoire, la relation de confiance qui unit la CNCIS au Premier ministre est telle que ce dernier a purement et simplement oublié de l’informer de l’abrogation de la loi régissant son activité et de la codification de ces textes à droit constant dans le Code de la Sécurité intérieure, que la Commission a appris en lisant le JORF. Rasséréné et serein, vous dis-je.

Ces interceptions de sécurité n’ont pas de lien avec l’affaire qui nous occupe, jetons donc un voile pudique là-dessus.

La justice à votre écoute

Voici à présent le domaine des interceptions judiciaires. Elles sont ordonnées par un juge ; historiquement, c’est le domaine du juge d’instruction, mais depuis 10 ans, ces interceptions peuvent être faites sans passer par lui, à l’initiative du procureur de la République, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, sans débat contradictoire bien sûr, par définition, puisqu’on ne va pas inviter la personne allant être écoutée à présenter ses observations, et dans deux cas : la recherche des personnes en fuite (i.e. faisant l’objet d’un mandat d’arrêt ou condamnées définitivement, ce qui inclut les évadés), c’est l’article 74-2 du code de procédure pénale (CPP) et dans les affaires portant sur des délits de la liste de l’article 706-73 du CPP commis en bande organisée (art. 706-95 du CPP). Pour les personnes en fuite, l’écoute est limitée à 6 mois en matière délictuelle (pas de limite en matière criminelle), et pour la délinquance en bande organisée, les écoutes sont limitées à 2 mois.

Les interceptions peuvent sinon être ordonnées par le juge d’instruction, qui n’a pas d’autorisation à demander, puisque lui est juge. Elle est sans limitation de durée (la loi précise qu’elle doit être renouvelée tous les 4 mois, mais c’est de pure forme). La seule condition est que le délit sur lequel le juge enquête soit passible d’au moins deux ans de prison, ce qui, avec la tendance à l’aggravation générale des peines, couvre l’essentiel du champ pénal (une vol de parapluie dans le métro, c’est déjà 5 ans encouru). La décision est écrite mais susceptible d’aucun recours, et de toutes façons n’est notifiée à personne, et n’est versée au dossier qu’une fois les écoutes terminées, avec la transcription des conversations utiles (article 100-5 du CPP).

Concrètement, tous les appels entrants et sortants sont enregistrés (entrant = le numéro surveillé est appelé, sortant = le numéro surveillé appelle), un policier du service en charge de mener les interceptions les écoute et s’il considère que la conversation contient des éléments intéressant l’enquête, il doit la retranscrire mot à mot par écrit sur un procès verbal qui sera versé au dossier. La lecture de ces PV est un grand moment, quand on réalise que pas une phrase n’est achevée, et que la moitié n’a pas de verbe. Les enregistrements (qui sont des fichiers informatiques) sont tous conservés pour la durée de l’enquête et au-delà, jusqu’à la prescription de l’action publique, soit 3 ans pour un délit et 10 ans pour un crime. Les écoutes téléphoniques génèrent un gros volume de déchet, la quasi totalité des communications étant sans intérêt, sauf quand on met sur écoute le téléphone professionnel d’un dealer, où là à peu près 100% des conversations sont payantes, à tel point que les policiers, en accord avec le magistrat mandant, renoncent à transcrire TOUTES les conversations utiles, pour en sélectionner certaines représentatives.

Certaines catégories de personnes sont plus ou moins protégées par la loi. Ainsi, la loi interdit de transcrire une écoute d’un journaliste permettant d’identifier une source. Mais rien n’interdit d’écouter, juste de transcrire. Le policier sera aussitôt frappé d’amnésie, bien sûr. Bref, protection zéro.

S’agissant des avocats, point sur lequel je reviendrai, d’une part, la loi impose, à peine de nullité, d’informer préalablement le bâtonnier de ce placement sur écoute. Curieuse précaution puisqu’il est tenu par le secret professionnel et ne peut le répéter ni exercer de voie de recours. Protection illusoire donc. Enfin, la loi interdit, à peine de nullité, de transcrire une discussion entre l’avocat et un client portant sur l’exercice de la défense. Naturellement, le policier qui aura tout écouté sera frappé par magie d’amnésie. Ah, on me dit que la magie n’existe pas. Mais alors ?…

La Cour de cassation aiguillonnée par la Cour européenne des droits de l’homme (bénie soit-elle) est très vigilante sur ce point, et interdit toute transcription de conversation avec un avocat dès lors qu’il ne ressort pas de cet échange que l’avocat aurait lui-même participé à la commission d’une infraction. Notons que cela suppose qu’un policier écoute l’intégralité de l’échange…

Point amusant quand on entend les politiques vitupérer sur le corporatisme des avocats et balayer les critiques au nom du refus de l’impunité, les parlementaires jouissent aussi d’une protection contre les écoutes (je cherche encore la justification de cette règle, mais le législateur, dans sa sagesse, a décidé de se protéger lui-même, il doit savoir ce qu’il fait) : le président de l’assemblée concernée doit être informé (article 100-7 du CPP). Notons que lui n’est pas tenu au secret professionnel.

De même que les parlementaires ne peuvent être mis en examen ou placés en garde à vue sans que le bureau de l’assemblée concernée ait donné son autorisation. Super pour l’effet de surprise. Les avocats ne jouissent d’aucune protection similaire, mais le législateur doit savoir ce qu’il fait en se protégeant plus lui-même que les avocats, n’est-ce pas ? On a nécessairement le sens des priorités quand on a le sens de la chose publique.

Quant aux ministres, ils échappent purement et simplement aux juges d’instructions, et les plaintes les visant sont instruites par une commission composée majoritairement de parlementaires de leur bord politique. Avec une telle garantie d’impartialité, que peut-on redouter ? On comprend donc que les ministres et parlementaires puissent se permettre de prendre de haut la colère des avocats. Ils sont moralement au-dessus de tout reproche.

Les écoutes une fois transcrites sont versées au dossier de la procédure (concrètement une fois que l’écoute a pris fin) et sont des preuves comme les autres, soumises à la discussion des parties. L’avocat du mis en examen découvre donc le jour de l’interrogatoire de première comparution des cartons de PV de retranscriptions littérales de conversations, et grande est sa joie.

Les écoutes ne peuvent porter que sur l’infraction dont est saisi le juge d’instruction. Si une écoute révèle une autre infraction, le juge doit faire transcrire la conversation, et la transmettre au procureur pour qu’il avise des suites à donner. Il n’a pas le droit d’enquêter de sa propre initiative sur ces faits, à peine de nullité, et ça peut faire mal.

Et dans notre affaire ?

De ce que j’ai cru comprendre à la lecture de la presse, voici ce qui s’est semble-t-il passé (sous toutes réserves, comme disent les avocats de plus de 70 ans à la fin de leurs écritures).

En avril 2013, dans le cadre d’une instruction ouverte pour des faits de corruption dans l’hypothèse où une puissance étrangère, la Libye, aurait financé la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, le téléphone mobile de ce dernier a été placé sur écoute. Très vite, les policiers en charge de la mesure vont soupçonner une fuite sur l’existence de cette écoute. L’ancien président devient peu disert, et à plusieurs reprises, il téléphone brièvement à son avocat, avec qui il convient de se rappeler dans 10 minutes, sauf qu’aucun appel ne suit. Classiquement, cela révèle l’existence d’un TOC (de l’anglais Telephone Out of Control, traduit par Téléphone OCculte, on dit aussi téléphone de guerre). Un classique chez les dealers : on fait ouvrir une ligne sous un faux nom, ou par un complice, et ce téléphone n’est utilisé que pour appeler un autre TOC, appartenant au fournisseur par exemple. Ainsi, ce numéro n’apparait pas dans les fadettes, et est très difficile à identifier par les policiers (ceux qui auront vu l’excellentissime série The Wire sauront de quoi je parle). Par contre, quand il l’est, c’est jackpot.

À Paris, l’identification de ce TOC est impossible. La même borne de téléphonie mobile peut être utilisée par plusieurs milliers de numéros en 10 minutes, impossible de repérer un numéro suspect dans ce flot. Il faut attendre l’erreur de débutant. Et elle a eu lieu.

Les policiers vont intercepter un nouvel appel “on se rappelle dans 10 minutes”. Sauf que cette fois Nicolas Sarkozy n’est pas à Paris, mais au Cap Nègre, hors saison. Autant dire que la borne qu’il utilise n’est pas trop sollicitée. Les policiers vont se faire communiquer le relevé des numéros ayant utilisé cette borne dans les minutes qui ont suivi leur appel suspect, et ils ont dû avoir, sinon un seul numéro, une petite poignée facile à trier. Ils identifient facilement le TOC de l’ancien président, et par ricochet, celui qu’utilise son avocat, seul numéro appelé. Le juge d’instruction a alors placé ce téléphone occulte sur écoute. De ce fait, l’avocat de l’ancien président a été lui même écouté, mais par ricochet, en tant que correspondant.

Et lors d’une de ces conversations, il serait apparu qu’un haut magistrat renseignerait l’ancien président sur un autre dossier pénal le concernant en échange d’un soutien pour un poste agréable, ce qui caractériserait le pacte de corruption et un trafic d’influence. Rien à voir avec le financement de la campagne de 2007 : la conversation est donc transcrite et transmise au parquet, et le tout nouveau procureur national financier a décidé d’ouvrir une nouvelle information, confiée à des juges différents du volet corruption, pour trafic d’influence.

Sauf que tout est sorti dans la presse, sans que l’on sache d’où provient la fuite. Contentons-nous de constater qu’elle est regrettable et soulignons qu’à ce stade, les personnes concernées sont présumées innocentes, et non présumées coupables, comme un ancien président avait malencontreusement dit, mais c’était un lapsus, je suis sur qu’il a compris son erreur depuis.

Juridiquement, ça donne quoi ?

Nicolas Sarkozy est avocat. Quand il a été placé sur écoute sur son téléphone mobile personnel, le bâtonnier de Paris a donc dû être informé. Rien n’impose de détailler les numéros surveillés, seule la mesure doit être indiquée, donc le bâtonnier de Paris n’a surement pas été informé de la découverte d’un téléphone occulte. L’avocat de l’ancien président ayant lui été écouté par ricochet, comme correspondant (unique) du numéro surveillé, il n’a pas été juridiquement placé sur écoute et le bâtonnier n’avait pas à être informé.

Les conversations que Nicolas Sarkozy a eues avec son avocat, qui le défend dans plusieurs dossiers, ont donc toutes été écoutées. Elle n’ont pas été transcrites, mais un policier était au courant dans les moindres détails des stratégies décidées entre l’avocat et son client.

Dès lors que l’information du placement sur écoute a été donnée au bâtonnier, et que n’ont été transcrites que les conversations laissant soupçonner la participation de l’un des intéressés à une infraction, les écoutes sont légales. Nicolas Sarkozy pourra demander à la chambre de l’instruction de Paris d’examiner leur légalité et de les annuler s’il y a lieu, mais seulement s’il est mis en examen (pas s’il est simple ou témoin assisté).

Pourquoi cette colère des avocats ?

Sans partager l’indignation que je trouve excessive dans la forme de notre bâtonnier bien-aimé (il s’agit d’un autre bâtonnier que celui qui a été informé en son temps du placement sur écoute, on en change toutes les années paires) et de plusieurs très illustres confrères, dont je ne signerai pas le texte, les écoutes des appels où un avocat est concerné me gênent, et j’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne vois qu’une solution satisfaisante : leur interdiction absolue.

Répondons d’emblée à notre garde des sceaux bien-aimée : je ne revendique aucune impunité pour les avocats. Je laisse l’impunité organisée aux politiques. Au contraire, j’appelle à la sévérité pour ceux de mes confrères qui franchissent la ligne et cessent d’être des avocats pour devenir des complices. Des procureurs avec qui j’ai discuté de la question de l’accès au dossier en garde à vue m’opposent qu’ils connaissent des avocats qui franchiraient volontiers et couramment cette ligne et n’hésiteraient pas à renseigner des tiers sur des gardes à vue en cours, expliquant ainsi leur réticence à nous donner accès au dossier. Admettons donc que la chose existe. Mais puisqu’ils disent cela, c’est qu’ils ont des preuves : qu’ils poursuivent les avocats, au pénal ou au disciplinaire, sachant que s’il soupçonne l’Ordre d’être par trop complaisant, le parquet peut porter les poursuites devant la cour d’appel composée de 5 magistrats du sièges, formation particulièrement sévère pour les avocats fautifs. Refuser ce droit de la défense parce que quelques uns (une minorité, ils en conviennent tous) pourraient mal l’utiliser ne tient pas. On ne va pas supprimer les droits de la défense sous prétexte que parfois, ils sont utilisé à mauvais escient, non ?

Le problème est ici un problème d’équilibre entre des valeurs contradictoires. D’un côté, la protection de la liberté de la défense, de l’autre, la nécessité de poursuivre les infractions. Une immunité pour les avocats serait déséquilibré, j’en conviens, et nul chez les avocats n’a jamais réclamé une telle impunité, Mme Taubira serait bien aimable de cesser de faire comme si tel était le cas. C’est un subterfuge classique de la rhétorique de répondre à un autre argument que celui qui nous est opposé s’il nous met en difficulté, mais je préfère quand Mme Taubira cite René Char plutôt que Schopenhauer.

Mais admettre qu’un policier puisse écouter tout ce qu’un avocat dit à son client, et feindre de croire que, parce que ça n’a pas été transcrit, ça n’a pas eu lieu et que le policier oubliera avant d’avoir pu en parler à qui que ce soit, c’est protéger un droit fondamental par une fiction. C’est laisser perdurer un soupçon, qui est un poison lent mais mortel. Et pour tout dire, il y en a marre de ces dossiers qui partent d’une enquête sur la base d’une information donnée par une source anonyme mais incroyablement bien informée et que la justice valide puisqu’il n’est pas interdit de se baser sur une source anonyme (c’était même très à la mode il y a quelques décennies). Personne n’est dupe. Ce n’est pas satisfaisant. Et sacrément hypocrite, puisque le système revient à prétendre qu’il est justifié puisque seules les preuves de la culpabilité d’un avocat ont vocation à être transcrite, en oubliant la méthode pour les obtenir. La fin justifie les moyens, disait-on déjà pour justifier la Question.

Le secret est la pierre angulaire du droit à une défense. Sans secret, il n’y a plus de défense. Et rappelons encore une fois car on ne le dit jamais assez : le secret n’est pas fait pour cacher des choses honteuses. Pas plus que vous n’avez mis des serrures à vos portes, des rideaux à vos fenêtres et des murs autour pour commettre chez vous des crimes en toute impunité, le secret de la défense n’est pas fait pour dissimuler la culpabilité. Il est la pierre sur laquelle se bâtit la relation entre un avocat et son client. La certitude que tout ce que vous lui direz ne sera JAMAIS retenu contre vous, et qu’il ne révélera que ce qui est strictement nécessaire à votre défense. Nous sommes les confidents de nos clients, les derniers à qui vous pouvez tout dire quand vous êtes dans des ennuis sans nom et que votre vie vient de voler en éclat avec votre porte à six heures du matin. Celui qui ne vous trahira jamais, quoi que vous ayez fait. C’est ce qui s’appelle du joli nom de colloque singulier. Toute oreille qui se glisse dans ce colloque, même avec la meilleure intention du monde, réduit la défense à néant.

La solution que je propose modestement a l’avantage de la simplicité et d’être faisable à moindre coût. Elle est protectrice de la défense sans faire obstacle à ce que les brebis galeuses soient poursuivies.

Les écoutes sur des conversations avec un avocat doivent être purement et simplement interdites. Pas leur transcription, leur écoute. Pour cela, il suffit que chaque avocat déclare à son Ordre le numéro fixe de son cabinet et son numéro de mobile professionnel, liste tenue à jour à l’initiative des avocats, qui s’ils ne le font pas s’exposent à être écoutés légalement, tant pis pour eux. Ces numéros forment une liste rouge communiquée à la plate forme nationale des interceptions judiciaires. Dès lors qu’un de ces numéros est appelé ou appelant sur une écoute en place, le logiciel d’écoute n’enregistre pas, point.

C’est juste un mode de preuve précis qui est interdit, pas les poursuites, qui pour le reste obéissent au droit commun (les perquisitions dans les cabinets d’avocat aussi devraient être interdites d’ailleurs pour les mêmes raisons : un juge lit nos dossiers, nos correspondances avec nos clients parfois incarcérés, nos notes personnelles ; et qu’on ne vienne pas nous faire la morale quand par exemple un juge d’instruction qui aime beaucoup donner des leçons de rectitude, pour ne pas dire de rigidité morale s’est permis de prendre connaissance au cours d’une perquisition pour tout autre chose du dossier de poursuites pour diffamation le visant avant de le reposer en disant “voyez, maitre, je ne le saisis pas, de quoi vous plaignez-vous ?”). Après tout, les lettres que nous adressons à nos clients incarcérés font l’objet d’une protection absolue, de même que nos entrevues au parloir ou l’entretien de 30 minutes que nous avons en garde à vue. On peut également recevoir nos clients dans nos cabinets en toute confidentialité. Donc si on a des messages illicites à leur faire passer, on peut le faire. Inutile de porter gravement atteinte au secret professionnel, qui de fait n’existe plus du tout quand un avocat est placé sur écoute puisqu’il est amené à discuter avec tous ses clients de tous ses dossiers au téléphone. Le fait que le divorce de Mme Michu et le bornage du Père Fourrasse n’intéresse pas l’OPJ qui écoute ces conversations ne retire rien au fait que le mal est fait, le secret n’existe plus. C’est l’honneur d’une démocratie que d’arrêter son propre pouvoir par la loi, et de dire “je m’interdis de faire cela, car le bien que la collectivité pourrait en tirer est minime et l’atteinte au bien individuel énorme”. Seuls les régimes despotiques font toujours prévaloir la collectivité sur l’individu sans considération de la proportionnalité, d’où les allusions maladroites à de tels régimes dans le dies iræ de mon Ordre. On admet ainsi que nos domiciles soient inviolables entre 21 heures et 6 heures. Neuf heures par jour d’impunité pour tous ! Comment la République a-t-elle survécu ?

Mais me direz-vous, avec cette protection, des avocats malhonnêtes pourraient échapper aux poursuites faute d’être jamais découverts. Oui, c’est le prix à payer. Mais depuis 24 ans que la loi sur les écoutes judiciaires est en vigueur, combien d’avocats délinquants ont été découverts fortuitement par une écoute et condamnés ? Quel est ce nombre exact ? Multiplions le par 4, et nous aurons le nombre de délits peut-être impunis sur un siècle (peut-être impunis car ces avocats peuvent tomber autrement, bien des avocats sont pénalement condamnés et radiés sans jamais avoir été mis sur écoute), comme prix à payer pour une protection de la défense digne d’un grand pays des droits de l’homme. Et si ça valait le coût, plutôt que faire prévaloir le soupçon et la répression ?

En attendant qu’Utopia devienne notre nouvelle capitale, mes chers confrères, c’est à vous que je m’adresse. Nous devons faire contre mauvaise fortune bon cœur et tirer les leçons de l’état actuel du droit, qui ne protège pas notre ministère. La protection de notre secret nous incombe au premier chef. Le téléphone doit servir exclusivement à des banalités. Donner une date d’audience, fixer un rendez-vous. Jamais de secret, jamais de stratégie de défense au téléphone. Vous avez des choses importantes à dire à votre client ? Qu’il vienne vous voir à votre cabinet (exceptionnellement déplacez-vous, mais jamais chez lui, vous n’êtes pas à l’abri d’une sonorisation). Je sais que beaucoup de confrères sont devenus accros du mobile, même les plus technophobes d’entre nous. Un téléphone mobile, qui utilise la voie hertzienne, n’est pas confidentiel, c’est même un mouchard qui donne votre position tant qu’il est allumé (ou en veille pour un smartphone). Et j’en aurai de même à dire sur l’informatique. Il est plus que temps que nous utilisions TOUS des solutions de chiffrement de mails et de pièces jointes comme OpenPGP (c’est efficace et gratuit), des logiciels comme TruCrypt, gratuit aussi, pour chiffrer nos fichiers (avec des sauvegardes idoines bien sûr). Ce sont des logiciels libres, que vous paierez par des dons du montant que vous souhaiterez au rythme que vous souhaiterez (on n’a pas beaucoup de charges variables comme ça, n’est-ce pas ?) et si vous êtes un peu féru d’informatique, vous pourrez utiliser un réseau privé virtuel (VPN) avec des navigateurs anonymisés qui vous rendront totalement intraçables en ligne. Nous ne pouvons pas avoir des comportements de dilettantes ou d’amateurs qui finissent par donner à nos clients un faux sentiment de sécurité, car nous les trahissons en faisant ainsi.

Pour ma part, je suis passé au tout numérique et au tout chiffré. Qu’un juge ou un cambrioleur vide mon bureau, je serai opérationnel à 100% dans les 5 minutes, je peux accéder à tous mes programmes et archives depuis n’importe quel PC, et mes visiteurs impromptus n’auront accès à aucun de mes dossiers (et en toute amitié, le premier peut toujours courir pour avoir mes clefs).

C’est peut-être ça la solution : rendre une loi protégeant la confidentialité de nos appels et de nos cabinets inutile.

21 Oct 08:10

La sélection du dimanche : Koryŏ

by vidberg

Cette semaine, je vous présente Koryŏ un petit jeu de cartes tout simple, qui se joue en 15 minutes, puis se rejoue en 15 minutes et se re-re-joue... bref, vous avez compris le principe : c'est un bon petit jeu  à glisser dans les sacs de voyage et à emmener partout avec soi. Mon coup de cœur de la rentrée !

Pour lire la description de Koryŏ, cliquez sur "continuer la lecture".

Comment gagner à Koryŏ ? Le paquet de cartes de Koryo est composé essentiellement de 9 cartes personnages numérotés de 1 à 9 et qui valent autant de points de victoire à la fin de la partie si vous avez la majorité. (Par exemple, le joueur qui aura le plus de cartes n°9 à la fin du jeu marquera 9 points de victoire.)
Chaque carte possède également un pouvoir spécial qui s'appliquera pour le joueur qui en possède la majorité à chaque tour de jeu. Vous l'avez deviné : les cartes de plus faible valeur offrent souvent des pouvoirs plus intéressants en cours de partie.

Selon le texte d'ambiance, Koryo se déroule dans "un univers uchronique politico-steampunk enraciné dans les terres historiques de la Grande Corée du 10ème siècle". Bon, soyons honnête : on oublie très vite le thème en jouant. Mais les cartes sont très belles et contribuent au plaisir de jeu.

Comment se déroule un tour de jeu ? Au premier tour, tous les joueurs reçoivent 10 cartes tirées aléatoirement. Sur ces 10 cartes, il pourront choisir autant de cartes identiques qu'ils le souhaitent et les poser devant eux.

Le banquier permet de récupérer un point de victoire supplémentaire à chaque tour.

Le premier joueur peut par exemple poser quatre cartes n°6 représentant le banquier, s'ils les a en main. Aussitôt, puisqu'il est le joueur possédant le plus de banquiers, il pourra appliquer son effet : le pouvoir du banquier est de donner un point de victoire supplémentaire sous forme d'un jeton. À la fin du tour, tous les joueurs ne pourront conserver que 3 cartes devant eux (le premier joueur devra donc défausser une carte banquier).
Au second tour de jeu, on distribue une carte de moins à chacun (9 cartes au deuxième tour) et à l'issue de ce tour, chacun pourra conserver une carte de plus devant soi (4 cartes au deuxième tour). L'opération est répétée pendant 8 tours à l'issue desquels on compte le score.

Quel goût ça a ? Je ne vais pas pas vous expliquer ici les effets des différentes cartes (vous pouvez jeter un coup d'oeil à la règle complète qui est disponible à cette adresse). Sachez qu'ils poussent à l'interaction et qu'il n'est pas simple de conserver une majorité : si au bout de deux tours de jeux, vous avez la majorité des 8 et des 9 et que vous semblez l'homme à abattre, il y a de forte chance pour que vos adversaires tentent de vous mettre des bâtons dans les roues.
Le hasard de la pioche joue évidemment un rôle important dans le jeu, surtout au dernier tour, mais on se rend compte après quelques parties qu'une bonne stratégie mais surtout un vrai talent de négociateur peut s'avérer très utile pour l'emporter.

En conclusion, Koryŏ, ce sont des tensions, des coups vaches, des tentatives de négociations malhonnêtes...  Les parties ne se ressemblent pas et il se passe toujours quelque chose durant les 15 minutes de jeu. Et c'est donc le seul jeu que je vais glisser dans mes bagages pour le salon d'Essen.

Koryŏ est un jeu de Gary Kim publié par Moonster games
Pour 2 à 4 joueurs à partir de 14 ans selon l'éditeur (de 10 ans selon moi)
Le lien vers la fiche du jeu sur le site de la boutique Philibert

Cette semaine, on lance une nouvelle rubrique  rédigée à 4 mains sur le blog spécifique de la sélection du dimanche : retrouvez 5 "avis-minutes" beaucoup plus rapides et sans explication des règles sur les jeux Love Letter, Relic Runners, Pompéii, Belfort et donc Koryŏ que vous connaissez à présent.
Elle se destine évidemment aux lecteurs les plus joueurs qui auraient envie d'échanger sur leurs dernières expériences ludiques.

La prochaine sélection du dimanche sera consacrée au salon d'Essen.

 

18 Oct 15:45

L'adresse IP, preuve insuffisante de l'auteur d'une suppression de données sur Wikipedia

by Sylvie Rozenfeld

« La seule mention d'une adresse IP correspondant à un ordinateur de la société Hi-Media sur des documents non authentifiés [sont] insuffisants pour démontrer la réalité des faits allégués ». La cour d'appel de Paris a, en effet, considéré que Rentabiliweb n'apportait pas la preuve qu'Hi-Media avait supprimé son référencement de la page « micropaiement » de Wikipedia et du site Boku. Par un arrêt du 3 octobre 2013, elle a infirmé le jugement du 1er juillet 2011 du tribunal de commerce de Paris qui avait considéré que « la jurisprudence ne s'oppose pas à la recherche des IP dans la mesure où cette connaissance ne donne pas accès à la personne qui utilise l'ordinateur visé. Dans la mesure où celui-ci était installé dans les locaux d'Hi-Media, le tribunal considère que Rentabiliweb apporte bien la preuve que c'est une personne agissant sous l'autorité d'Hi-Media qui est l'auteur de la suppression ». La cour d'appel n'est pas allée sur le terrain de la nature juridique de l'adresse IP, débat pourtant soulevé par Hi-Media. Cette dernière considère qu'il s'agit d'une donnée à caractère personnel qui ne peut être obtenue que par réquisition judiciaire tandis que Rentabiliweb le conteste au motif qu'elle « se rapporte à un ordinateur ce qui ne permet pas d'identifier l'utilisateur ».
Dans l'historique des modifications apportées à cette page Wikipedia, le 8 juillet 2008, figurait l'adresse IP correspondant à l'ordinateur à l'origine de la suppression du référencement. Rentabiliweb prétendait qu'elle provenait d'Hi-Media. Or, celle-ci a remis en cause cette affirmation invoquant un piratage de son adresse IP. Selon elle, Rentabiliweb ne justifie pas du processus utilisé pour parvenir à cette identification, et rappelle que le piratage est une manœuvre aisée. Cette argumentation a été approuvée par la cour d'appel.

20 Sep 07:19

Dysfonctionnements de l'iPhone : Apple condamné pour non conformité

by Sylvie Rozenfeld

Apple Sales International a été condamné pour les dysfonctionnements d'un iPhone apparus moins de six mois après son achat. Dans son jugement du 13 septembre 2013, la juridiction de proximité de Nantes rappelle qu'en vertu des articles L 211-4 et L 211-7 du code la consommation, le vendeur est tenu de livrer un bien conforme au contrat et doit répondre des défauts de conformité existant lors de la délivrance. Les défauts qui apparaissent dans un délai de six mois à compter de la délivrance du bien sont présumés avoir existé dès l'achat, sauf preuve contraire. Or, Apple n'a pas apporté cette preuve. Il a été condamné à verser à son client 200 € de dommages-intérêts et 800 € au titre des frais de justice.
Dans les semaines qui ont suivi son achat, un téléphone portable a connu des problèmes de rétro-éclairage de l'écran. Après avoir contacté Apple, l'acquéreur a souscrit un service « remplacement express » pour 29 €. Contre la fourniture d'un téléphone, il a signé une autorisation de prélèvement couvrant la valeur à neuf de cet appareil et il a envoyé le portable défectueux pour réparation. Finalement, Apple a refusé de prendre en charge la garantie au motif que le téléphone était endommagé car il avait subi « un dommage liquide », il lui a débité 199 € en paiement de l'appareil de remplacement et ne lui a pas restitué l'ancien. Apple s'est contenté d'affirmer que l'appareil avait été mis en contact par l'utilisateur avec une humidité anormale, le changement de couleur des capteurs en attestant. Pour le tribunal, il s'agit d'une simple affirmation unilatérale, sur la base de conclusions des techniciens d'Apple, sans la fourniture d'éléments techniques les corroborant. En plus, le téléphone défectueux a été détruit, sans possibilité d'un examen contradictoire, Apple « agissant comme si [il] avait le pouvoir de décider unilatéralement de l'achat par le client d'un nouvel appareil dans le cadre d'un remplacement express ».

21 Jul 11:03

Une banale histoire de procès sur Internet

by vidberg

 

Cette semaine a vu l'épilogue d'une petite affaire que j'ai suivie avec beaucoup d'intérêt opposant un éditeur de jeux de société, MyWittyGames, et le site d'information ludique Tric Trac qui héberge, grâce à son forum très dynamique, une importante communauté de passionnés de jeux de société. Je vais tenter de vous la raconter simplement car elle est assez révélatrice de l'équilibre fragile des forums de discussions et des débordement qu'ils engendrent parfois.

L'affaire

En 2010, Monsieur Yannick Robert lance sa maison d'édition MyWittyGames en transposant dans le petit monde du jeu de société le principe de l'édition participative popularisé notamment par MyMajorCompany. Yannick Robert se crée un compte sur le forum de Tric Trac, tente de lancer des buzz. Il se rend même à Orléans où se situent les locaux de Tric Trac pour tourner une vidéo promotionnelle de son premier jeu qui sera diffusée sur le site.

Seulement Yannick Robert est un jeune entrepreneur dynamique sans doute peu connaisseur du microcosme ludique et surtout concentré sur la transposition d'un modèle économique qu'il espère innovant. Il ne correspond pas vraiment au profil des geeks passionnés de jeux de plateau qui constituent le "noyau dur" des habitués du forum de Tric Trac. Ses interventions dénotent, son ton très commercial n'est pas adapté et le courant ne passe pas. MyWittyGames se forge une très mauvaise image auprès des anciens du site.
En juillet 2012, Monsieur Phal, administrateur du site, connu pour son franc parler, ouvre un sujet informatif intitulé "MyWittyGames vient de lever 200 000 €" qui recevra de nombreuses réponses, parfois agressives ou moqueuses de la part habitués de Tric Trac à l'encontre de l'éditeur.

Après une bonne année 2011, l'année 2012 est difficile pour MyWittyGames.
Pour Yannick Robert, il est évident que la mauvaise presse née du forum du site Tric Trac a pesé sur la réussite de son entreprise.
En décembre 2012, MyWittyGames demande donc, par huissier, la fermeture du sujet de forum incriminé. Puis en janvier 2013, la société Tric Trac recevra deux nouvelles visites d'huissier notamment pour relever des adresses IP d'utilisateurs.
En mars, le procès s'ouvre.
MyWittyGames réclame alors 271 800 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice commercial argumentant que Tric Trac est le principal site d'information ludique et qu'un sujet de son forum suffit à faire ou défaire une réputation. MyWittyGames réclame également 244 564 euros au titre de préjudice d'image.

Le procès

Les habitués du forum Tric Trac, peu coutumiers des affaires commerciales, encore moins des affaires judiciaires, ont eu très peur.
Soucieux de respecter la procédure, et sans doute très inquiet pour l'avenir de sa petite société, Monsieur Phal informe ses visiteurs du procès et leur demande de ne surtout plus mentionner MyWittyGames sur le site.
Les internautes ne savent plus bien ce qu'ils ont droit de faire ou d'écrire. Peuvent-ils encore, légalement, laisser un avis sur un jeu MyWittyGames même s'ils ne l'aiment pas ? Partager une information ? Simplement plaisanter ?
Dans le doute, le sujet devient tabou. Commence alors une résistance sympathique des Internautes qui échangent par messages codés des petites piques compréhensibles uniquement des initiés.
Sur Facebook un auteur bien connu d'un des premiers jeux publiés par MyWittyGames déchire les cartes de son jeu expliquant qu'il s'agit d'une simple "performance artistique".

Le verdict du procès est sans surprise : le tribunal a reconnu les débordements mais a estimé qu'il n'est pas établi de lien de causalité entre la baisse d'activité de MyWittyGames et un simple sujet de forum du site Tric Trac et qu'il n'y a, bien entendu, pas de concurrence entre les deux sociétés. Il souligne également que Yannick Robert fait partie de la communauté Tric Trac et a sa part de responsabilité dans les polémiques qui se sont développées sur le forum.
MyWittyGames est donc débouté de ses demandes et condamné à payer 5 000 euros de remboursement des frais de justice engagés par Tric Trac.

Mais alors, pourquoi je vous en parle ?

Passionné moi-même de jeux de société, l'affaire m'intéressait puisqu'elle touche à l'un de mes centres d'intérêt et à son écosystème. Elle est surtout révélatrice de l'équilibre difficile de ces  "vieilles" communautés d'internautes qui partagent sur les forums avec la même insouciance qu'à l'oral mais avec les responsabilités d'un média qui utilise l'écrit. Tric Trac et beaucoup des sites communautaires qui se sont lancés au début des années 2000 a été créé comme un fanzine, un espace de liberté tissé d'amateurisme pour un public restreint de précurseurs, c'est aujourd'hui le magazine de référence. Il joue le rôle essentiel d'éclaireur. En ce sens, la plainte déposée par MyWittyGames n'a d'ailleurs pas été jugée abusive par le tribunal.
Cette histoire rappelle que le non respect d'une charte d'utilisation (que personne ne lit) par quelques utilisateurs peut légitimement déboucher sur un procès dans lequel le site sera toujours perdant.

Car, si je ne peux m'empêcher de me demander si cette plainte n'était pas un coup de poker de Yannick Robert pour sauver sa société MyWittyGames probablement en grande difficulté financière, Monsieur Phal et Tric Trac n'y ont évidemment pas gagné 5000 euros : cette somme ne couvre ni leurs frais d'avocat ni surtout la perte de temps et d'énergie essentielle pour une toute petite entreprise d'informations spécialisées à l'équilibre fragile et dont le modèle économique est encore expérimental.

 

18 Jul 10:32

Maif / IBM : la Cour de cassation annule l'arrêt de la cour de Poitiers

by Sylvie Rozenfeld

La Cour de cassation, dans un arrêt du 4 juin 2013, vient d'invalider la décision de la cour d'appel de Poitiers dans une affaire Maif / IBM qui avait semé le trouble dans le secteur des services informatiques. IBM qui avait été condamné pour dol et devait, à ce titre, verser 11 millions d'euros de dommages-intérêts à la Maif par un jugement du 14 décembre 2009 du TGI de Niort, avait obtenu l'infirmation du jugement en appel. Dans son arrêt du 25 novembre 2011, la cour d'appel de Poitiers avait remis en cause la thèse selon laquelle IBM aurait été l'auteur de manipulations destinées à tromper son client. IBM avait facturé un contrat d'intégration 7,3 millions d'euros lors de la signature du contrat en 2005, puis avait réclamé 3,5, puis 15 millions supplémentaires à son client la Maif, tout en accumulant les retards. La Maif accusait IBM de l'avoir trompée en phase précontractuelle sur sa capacité à mener à bien les projets en cause en lui faisant croire qu'elle maîtrisait l'ensemble des paramètres et en dissimulant les informations capitales concernant les risques. La cour avait estimé que la Maif n'était pas une profane en informatique et qu'elle avait accepté en connaissance de cause les évolutions de ce projet complexe, « sans qu'aucune dissimulation déterminante et volontaire [d'IBM] compte tenu de ce contexte ne soit caractérisée ». La cour a jugé « qu'il y a lieu d'écarter le moyen invoqué par la Maif tiré d'une réticence dolosive d'IBM, dès lors qu'il n'est pas établi qu'IBM a dissimulé de surcroît volontairement à la Maif des informations majeures relatives au calendrier, au périmètre, au budget du projet. ». En conséquence, la Maif avait été condamnée à verser 4 664 400 € à BNP Paris Factor qui, dans le cadre d'une convention d'affacturage avec IBM, avait émis des factures qui n'avaient pas été réglées. Par ailleurs, les sommes versées par IBM en exécution du jugement du TGI de Niort devaient être restituées avec intérêts au taux légal.
La Cour de cassation rappelle que la novation ne se présume pas. La cour d'appel avait estimé que la Maif avait accepté de revoir les changements initiaux dont elle ne pouvait plus se prévaloir. « Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans relever d'éléments faisant ressortir que la MAIF ait manifesté, sans équivoque, sa volonté, à l'occasion de la signature des protocoles des 30 septembre et 22 décembre 2005, de substituer purement et simplement aux engagements initiaux convenus par les parties dans le contrat d'intégration du 14 décembre 2004 de nouveaux engagements en lieu et place des premiers, la cour d'appel a privé sa décision de base légal ». L'affaire est renvoyée devant la cour d'appel de Bordeaux.

11 Jul 07:26

Youtube : notification préalable, même pour les contenus déjà signalés

by Sylvie Rozenfeld

Dans un arrêt du 21 juin 2013, la cour d'appel de Paris a rappelé que l'hébergeur, qui n'est pas soumis à une obligation générale de surveillance, n'a pas à retirer un contenu sans notification préalable, même s'il a déjà fait l'objet d'un signalement. Elle précise qu'« il n'appartenait pas à la société Youtube de générer, de sa propre initiative et sans contrôle des ayants-droit, des empreintes sur les contenus objets de la première notification et que l'obligation de surveillance mise à la charge de ces derniers n'apparaît ni disproportionnée ni d'un exercice complexe, eu égard au descriptif qu'en fait la société Youtube ». Elle confirme ainsi le jugement du 28 avril 2011 du TGI de Paris qui avait estimé fautif le comportement des ayants droit. La SPPF avait en effet refusé de collaborer au système que l'hébergeur avait justement mis en place afin de rendre l'accès impossible aux contenus déjà signalés. Enfin, la cour refuse de faire droit à la demande de la SPPF d'ordonner à Youtube et à Google de cesser toute nouvelle mise en ligne de vidéos visées par l'assignation pour une durée de 10 ans, en raison de « son imprécision quant à son objet [qui] contrevient aux exigences de l'article 6-1-7, alinéas 1 et 2 de la loi LCEN selon lequel l'autorité judiciaire ne peut ordonner qu'une activité de surveillance “ciblée et temporaire” ».
En mai 2008, la SPPF avait signalé à Youtube la présence illicite sur son site de 233 vidéomusiques de son répertoire. L'hébergeur les avait retirées promptement mais 123 d'entre elles continuaient d'être visibles en février et mars 2009. Le 15 mai 2009, la SPPF faisait assigner Youtube en justice. Le 25 avril 2008, Google France, filiale de Google Inc. qui possède le site Youtube, avait cependant envoyé à la SPPF une proposition de mise à disposition gratuite de son système d'identification des œuvres par empreinte appelé « content identification ». Mais cette dernière n'avait pas donné suite. En s'abstenant de répondre, le TGI de Paris avait estimé que la SPPF avait empêché Youtube d'utiliser le système qu'elle avait justement mis en place afin de rendre l'accès impossible aux contenus déjà signalés. Il explique que « dès lors que la société Youtube ne pouvait procéder à la réalisation et la conservation des empreintes de vidéomusiques déjà notifiées, elle ne disposait plus de moyens techniques lui permettant de détecter de nouvelles mises en ligne illicites ».

03 Jul 07:28

Cloud computing : l'UMP obtient gain de cause contre Oracle

by Sylvie Rozenfeld

Changer de prestataire de cloud computing n'est pas toujours chose simple. L'UMP qui avait choisi de remplacer Oracle pour la gestion et l'hébergement de ses données personnelles a dû l'assigner pour les récupérer en temps voulu. Oracle invoquait une impossibilité technique due à un bug. En référé, le TGI de Nanterre a envisagé deux injonctions alternatives au leader mondial des systèmes de gestion de bases de données relationnelles (SGBDR). Ce dernier pouvait choisir de fournir à l'UMP les moyens techniques de nature à lui permettre sans délai l'exportation de l'ensemble des données nominatives hébergées. Il pouvait aussi opter de garantir à l'UMP, sans frais, la prolongation de l'accès complet au service, jusqu'à l'expiration du délai de deux mois, quand il sera en mesure de procéder à l'exportation de ses données.
Le parti politique avait signé pour deux ans un contrat de cloud computing avec Oracle, en vue de la mise à disposition d'un logiciel de gestion de base de données nominatives Oracle CRM On Demand. Celui-ci expirant à la fin 2012, l'UMP qui souhaitait changer de prestataire de cloud a voulu récupérer ses données. Mais le parti s'est trouvé confronté à une impossibilité technique en raison d'un bug sur la 20ème version du logiciel. En attendant la mise en œuvre de la 21ème version, le fournisseur lui proposait un correctif spécifique à l'environnement de l'UMP et une solution de contournement en cours de réalisation. En réponse, le parti l'a assigné en référé pour qu'il fournisse les moyens techniques de nature à lui permettre l'exportation de l'ensemble des données. L'UMP estimait que, dans ces conditions, le nouveau fournisseur n'était pas en mesure de reprendre les données à la date convenue et donc d'exploiter la base de données. En conséquence, il considérait qu'il ne pouvait pas remplir ses obligations légales à l'égard de ses adhérents et d'assurer normalement son propre fonctionnement.
Dans son contrat, Oracle avait indiqué qu'il ne garantissait pas que ses services soient exempts d'erreurs ni qu'il les corrigerait. Le juge a estimé, qu'en dépit de ces stipulations, « la société Oracle ne peut soutenir, de bonne foi, qu'elle ne manquerait pas à ses obligations contractuelles si elle ne permettait pas à l'UMP de bénéficier en temps utile de ses données pour permettre à son nouveau prestataire de les exploiter et d'être opérationnel dès la fin de sa propre prestation ».